« De toutes les passions, la seule vraiment respectable me paraît être la gourmandise. » (Guy de Maupassant)

Les gourmands mémorables

Le quatrième numéro de la revue « Folle Histoire » dirigée par Bruno Fuligni aux Éditions Prisma à Gennevilliers est consacré aux Gourmands mémorables, 60 personnages historiques qui, depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours, se sont distingués par leur appétit démesuré ou inattendu, leur raffinement ou, au contraire, leurs aberrations alimentaires. Certains se sont même tués, ou ont tué, à coups de bons petits plats.

L’ouvrage est construit en quatre chapitres : Les fins becs, Les expérimentateurs culinaires, Les criminels de la table et Quelques repas inoubliables.

S’y ajoutent les présentations d’un document (« Une invitation chez Grimod »), d’un objet « La trembleuse à chocolat »), d’un mythe « Le miracle des bulles »), d’une caricature (« La Vache qui rit à la conquête du Tonkin ») et d’un film (« Le festin de Babette »).

Le ton est léger, les anecdotes sont passionnantes et éclairantes, le résultat s’avère savoureux en diable…

Une revue qui se dévore des yeux !

PÉTRONE

Les gourmands mémorables, ouvrage collectif sous la direction de Bruno Fuligni, illustrations de Daniel Casanave, Gennevilliers, Éditions Prisma, octobre 2015, 183 pp. en noir et blanc au format 15,4 x 23 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 17,95 € (prix France)

Pour vous, nous avons recopié ces quelques lignes écrites par Philippe Di Folco :

Le festin d’Ermolao Barbaro (1488) – Un repas de mariage italien

En 1552, le bon Michel Nostradamus, occupé à rédiger ses fameuses prophéties, fait surtout commerce de toute sorte d’ouvrages pratiques, le livre de cuisine en tête. C’est là un gagne-pain considérable, ce genre d’ouvrages ne restant pas longtemps sur l’étal des librairies. Parmi ses bonnes ventes, Nostradamus compte Un Banquet de mariage italien, qu’il a traduit du latin : une œuvre du Vénitien Ermolao Barbaro, brillant humaniste qui vécut à Bruges, à la cour de Charles le Téméraire, ainsi qu’à Rome auprès du pape Innocent VIII, deux princes réputés pour leur appétit.

Le repas de mariage dont il est question semble irréel tant il accumule les services, pas moins de quinze, tous aussi hauts en couleurs que riches en calories. La scène se déroule le 6 juin 1488 à Rome, dans le jardin d’un certain Trivulce, un Romain « vaillant homme en fait de guerre » qui, en temps de paix, choisit d’épouser une dame napolitaine d’une très noble et honorable famille.

Barbaro raconte qu’il est invité non pas au déjeuner, réservé aux proches, mais au souper qui se déroule toute une partie de la nuit et rassemble les amis. Il constate que les convives sont déjà saouls dès après le quatrième service, celui du premier rôti, et que lui-même commence à sentir grandement les effets de l’ébriété : « Aussi, dit Barbaro, je me retire et fais état plus de spectateur que de convive si je veux décrire les mets et les viandes ». La liste des plats se déroule ainsi : premièrement, on donne à chacun de l’eau de rose pour se rafraîchir, accompagnée de « pignolats » et autres tartes de massepain et de pignons très sucrés appelés « pains martiens ». Ensuite sont servies des asperges nouvelles.

En troisième, une salade mélangée de cœurs, foies, gésiers de divers oiseaux. En quatrième, de la chair de daim rôtie. En cinquième, les têtes de génisse et de veau bouillies avec leur peau. En sixième, une montagne de chapons, poulardes, pigeons, accompagnés de langues de bœuf et de jambon de truie, le tout bouilli et servi avec de la sauce citronnée. En septième, des che­vreaux rôtis accompagnés d’un jus de cerise amère [amaretto]. En huitième, des tourterelles, perdrix, faisans, cailles, grives et autres becfigues « studieusement » rôtis, avec des olives comme condiments. En neuvième, un coq cuit dans le sucre et l’eau de rose à chacun des convives. En dixième, pour chaque invité, un « petit porcelet » entier, cuit dans de la liqueur. En onzième, des paons rôtis à partager entre convives avec leur sauce blanche aux pistaches, fort aromatisée. En douzième, pour chacun, une tourte « un peu recroquevillée » faite d’œufs, de lait, de sauge, de farine et de sucre. En treizième, des quartiers de coing confits dans du sucre, des clous de girofle et de la cannelle. En quatorzième, un mélange de cardons, de pignons et d’artichauts poi­vrade en salade. Au quinzième service, on se lave les mains, puis sont portées toutes sortes de dragées au fenouil, à la muscade, à l’orange … Le souper se termine avec des danses, des joueurs de farces, des bateleurs, des acrobaties, des musiciens conteurs. Chacun dispose bientôt d’un candélabre surmonté d’une bougie parfumée et tous les convives vont et viennent dans le jardin, au milieu d’une bruyante basse-cour et de quelques quadrupèdes rescapés du souper. Barbaro termine son récit en notant que, durant toute la farandole du banquet, un « silence admiratif et quasi religieux régna, comme jamais l’on en observa ».

Date de publication
mercredi 27 juillet 2016
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