Ici, l’ombre…

Gaspard de Cherville (cover)

Dans Gaspard de Cherville, l’autre « nègre » d’Alexandre Dumas (Paris, Honoré Champion), le chercheur belge Guy Peeters [1] a tenté de restituer la personnalité d’un écrivain oublié ou occulté depuis plus d’un siècle et d’éclairer la relation et les rapports de travail qu’il a entretenus avec Alexandre Dumas de 1852 à sa mort.

Écoutons le biographe :

« Alexandre Dumas, né le 24 juillet 1802 à Villers-Cotterêts (Aisne) et mort le 5 décembre 1870 à Puys, près de Dieppe (Seine-Maritime), a publié de nombreuses œuvres qu’il a achetées à des écrivains sans notoriété qui se voyaient rebutés par les éditeurs. Avec le nom de Dumas sur le manuscrit, ils le savaient, les portes s’ouvraient toutes grandes.

Mais Dumas a eu aussi deux collaborateurs – des “nègres”, disait-on –, avec lesquels il élaborait, parfois au jour le jour, ses romans-feuilletons.

Le premier d’entre eux, Auguste Maquet, est le co-auteur des Trois Mousquetaires, du Comte de Monte-Cristo et de bien d’autres best-sellers qui n’auraient pas vu le jour sans lui.

Quelques années après que Maquet, faute d’être rétribué, a mis fin à la collaboration, Dumas a recruté, en 1856, un second “nègre”, Gaspard Pescow, marquis de Cherville, né à Chartres (Eure-et-Loir) le 11 décembre 1819 et mort à Noisy-le-Roi (Seine-et-Oise) le 10 mai 1898, qui va écrire avec lui dix romans et une pièce de théâtre.

Tâche ardue, car peu de travaux existent sur le sujet, et Cherville n’a pas laissé de mémoires. Il s’est refusé à les rédiger par pudeur, en ce qui concerne sa vie privée, et par amitié et refus de ternir l’image de Dumas qui l’avait sauvé de la misère alors qu’il végétait, ruiné, sans travail et exilé en Belgique.

Gaspard de Cherville (illu)

La correspondance Dumas-Cherville, assez rare, ne suffit pas à rendre compte des relations des deux écrivains. Subsistent, par contre, à la Bibliothèque Nationale de France et à celle de l’Arsenal, de nombreuses lettres adressées par le marquis à l’éditeur Jules Hetzel, qui a été son mentor, et au romancier et dramaturge Jules Claretie, pendant et après sa collaboration avec le romancier. Restent aussi, disséminés çà et là dans les œuvres de Cherville, écrites seul ou en collaboration, et dans ses innombrables articles, des éléments autobiographiques intéressants. Enfin, il est utile de découvrir de visu les lieux où a vécu cet écrivain : Chartres et Saint-Priest, Chapelle-Guillaume (Eure-et-Loir), Bruxelles, Spa, La Varenne-Saint-Hilaire…

Reconstruire la biographie de Gaspard de Cherville, ce n’est pas seulement éclairer la trajectoire chaotique d’un homme et des écrits qu’il a produits avec Dumas ou qu’il a publiés sous son nom. C’est aussi récolter des informations sur le Dumas des dernières années, plus rarement approché que celui des débuts triomphants, et sur ses pratiques d’écriture. C’est encore, entre autres, constater que Victor Hugo a recueilli dans Napoléon le Petit le témoignage direct de Cherville sur les massacres bonapartistes du 4 décembre 1851 ; remarquer les rapports tendus qu’ont entretenus Hetzel, Dumas et Cherville avec un éditeur belge ; revenir sur le rôle important qu’a tenu Noël Parfait, l’infatigable secrétaire d’Alexandre Dumas ; juger l’attitude de Dumas fils à l’égard du collaborateur de son père…

Enfin, et ce n’est pas la seule surprise, découvrir le jeune Émile Zola demandant conseil pour sa carrière à Gaspard de Cherville et s’inspirant plus tard de textes et de réflexions du marquis pour écrire certains épisodes de La Terre. »

“Vous savez ce que je vous ai dit le jour de notre première collaboration, et ce que je vous ai répété vingt fois depuis, écrivait Dumas à Gaspard de Cherville : en littérature, le doute de soi n’est pas de la modestie. Vous doutiez de vous, et vous aviez tort ; vous pouviez faire mieux, et vous faisiez aussi bien que ceux qui tiennent les feuilletons des plus grands journaux”.

Tout montre qu’Alexandre Dumas ne le méjugeait pas et que Cherville a eu le tort de ne pas assez l’entendre… »

Une biographie passionnante, claire, sans jargon, nourrie de nombreux inédits et parsemée d’anecdotes amusantes, susceptible d’accrocher tant les spécialistes avertis de l’œuvre de Dumas que les dix-neuviémistes en général ou les lecteurs curieux.

Pétrone

Gaspard de Cherville, l’autre « nègre » d’Alexandre Dumas par Guy Peeters, Paris, Éditions Honoré Champion, collection « Romantisme Modernité », février 2017, 550 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 23,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 95,00 € (prix France)

 

[1] Licencié et agrégé en philosophie et lettres de l’Université Libre de Bruxelles, Guy Peeters (°1947) consacre ses recherches à la vie et à l’œuvre de quelques écrivains du XIXe siècle : hommes de lettres engagés, comme Victor Hugo, Lamennais, Béranger ou Lamartine. Les Cahiers d’études sur les Correspondances du XIXe siècle, les Actes du Colloque international Lamartine de Mâcon, Nineteenth-Century French Studies (New York), entre autres, ont accueilli quelques-uns de ses travaux.

Date de publication
jeudi 30 mars 2017
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