Actes de foi…

Du Jourdain au Congo

Si, passionné comme nous de culture du Continent noir, vous avez manqué l’exposition éponyme qui s’est tenue jusqu’au 2 avril 2017 au Musée du quai Branly-Jacques Chirac à Paris et dont le commissaire, Julien Volper, officie en tant que conservateur au Musée royal de l’Afrique centrale à Tervuren, son catalogue intitulé Du Jourdain au Congo, art et christianisme en Afrique centrale est un grand must !

Car, écrit-il, « il illustre la singulière histoire par laquelle, sur plus de cinq siècles, les traditions religieuses et politiques de différentes populations d’Afrique centrale ont incorporé la rencontre avec le christianisme par une réinterprétation d’éléments qui leur étaient étrangers, qu’il s’agisse de croyances, de rituels et/ou d’objets.

Ces œuvres (crucifix, statuettes de saint Antoine, figures inspirées du culte marial…) dévoilent ainsi tout le foisonnement artistique et culturel dans la région ».

L’ouvrage abonde d’illustrations, de cartes et d’explications permettant de comprendre le caractère métissé de la religion catholique pratiquée par les Congolais déjà à l’époque précoloniale et ensuite, mais aussi la grandeur du talent d’artistes inspirés et la profonde humanité d’œuvres en prise avec la vie comme elle allait jadis dans les villages et dans la brousse.

C’est que, comme l’écrit John K. Thornton dans un des textes du catalogue, « la conversion du royaume de Kongo fut remarquable à plusieurs égards. Il est en effet inhabituel, dans l’histoire des premiers temps de la colonisation européenne, qu’une région se convertisse en dehors d’un contexte de conquête comme celle des Amériques et des Philippines par l’Espagne, ou celle du Brésil par le Portugal.

Lorsque la conversion n’allait pas de pair avec la conquête, comme en Chine, au Japon ou en Inde, par exemple, il s’agissait en général d’une religion minoritaire tolérée à laquelle ne se convertissaient pas les élites et qui n’était pas encouragée par l’État. Ailleurs, les convertis pouvaient éventuellement se rassembler autour de forteresses ou de comptoirs, à l’écart des grandes conquêtes ou des conversions massives de pays entiers.

Le royaume de Kongo, en revanche, se christianisa par sa propre volonté. Quelques années à peine après le premier contact [avec l’explorateur portugais Diego Cão (vers 1450 – vers 1486) qui fit deux voyages le long de la côte atlantique de l’Afrique au XVe siècle.], Nzinga a Nkuwu décida de se faire chrétien et d’entraîner son pays tout entier derrière lui. C’est donc en 1491 que Nzinga a Nkuwu devint chrétien, se choisissant pour nom de baptême João 1er. Et dès 1530, la nouvelle religion, soutenue par l’État, s’était implantée dans l’ensemble du pays et possédait tout un réseau d’écoles et d’enseignants, et même son propre évêque à partir de 1518.

Du Jourdain au Congo (statuette)

Pendentif de Denis Malau,

culture kongo, XVIIIe siècle, ivoire, 13 x 4 cm,

Donald & Adele Hall collection

Si l’essor du christianisme fut si rapide dans cette région, c’est justement que la conversion ne découlait pas d’une conquête et que les dirigeants politiques de Kongo décidèrent eux-mêmes d’embrasser cette religion, usant de leur autorité et de leur pouvoir pour l’imposer.

De plus, ces dirigeants étant à l’origine de sa diffusion, les élites de Kongo purent jouer un rôle beaucoup plus important, au moment de déterminer comment la nouvelle religion allait se développer et quels aspects de l’ancienne lui seraient incorporés, que cela n’aurait été le cas s’il s’était agi d’une minorité religieuse ou d’un contexte de conquête.

En réalité, les prêtres portugais qui le connaissaient par son implication dans la mise en forme de la nouvelle foi appelaient Afonso 1er dont le règne commença en 1509, fils et successeur de João 1er, « l ‘apôtre du Congo ».

Afin de soutenir cet effort théologique, un certain nombre de jeunes issus de l’élite du royaume furent, à partir de 1483, choisis et envoyés au Portugal pour y étudier ; ils revinrent ensuite au pays pour aider à imaginer comment les concepts théologiques kongo pouvaient être associés aux concepts chrétiens.

À Lisbonne, un établissement éducatif financé par les dominicains répondait aux besoins des étudiants africains ; dans les années 1530, il était dirigé par l’un des cousins d’Afonso qui portait le même prénom ».

Surprenant, n’est-il pas ?

PÉTRONE

Du Jourdain au Congo – Art et christianisme en Afrique centrale, catalogue d’exposition bilingue français-anglais, Paris, coédition Flammarion & Musée du quai Branly-Jacques Chirac, novembre 2016, 216 pp. en quadrichromie au format 20,4 x 26,2 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 39 € (prix France)

Date de publication
jeudi 18 mai 2017
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