Belgique, terre ô combien surréaliste

Un pays fonctionnant parfaitement pendant plus d’un an sans gouvernement, dont le leader du principal parti – la N-VA – se mue en moins de temps qu’il ne le faut pour l’écrire d’Oliver Hardy en Stan Laurel, au physique comme au moral, et où les écologistes au pouvoir promettent de l’électricité gratuite aux petites gens avant de se rétracter à la vitesse de l’éclair pour faire payer à ceux-ci les installations photovoltaïques des riches bobos… Bienvenue chez les Belges !

Cloaca, la machine à caca de Wim Delvoye

S’agissant de la plomberie institutionnelle nationale – aux allures de machine à caca de Wim Delvoye – ayant naguère permis, par exemple, d’échanger dans Ce Pays 5 km d’autoroute contre l’ouverture d’une école, l’expression « surréalisme à la belge » a fait florès à l’étranger autant que dans les Cafés du Commerce de notre (petite) terre d’héroïsme…

Mais au fait, « surréalisme », kézako ?

Le Petit Larousse le définit comme un « mouvement poétique, littéraire, philosophique et artistique, né en France, qui a connu son apogée dans l’entre-deux-guerres sous l’impulsion d’André Breton [1] ».

Or, en Belgique, dès 1924 avec Paul Nougé (1895-1967) et René Magritte (1898-1967) notamment, le surréalisme belge se caractérise par sa forte défiance envers les idées et les écrits de Breton.

Ça commençait bien !

Et cela n’allait pas s’arranger : les grands noms du mouvement en Belgique, actifs sur de nombreux plans (poésie, peinture, sculpture, musique, cinéma…), se sont entredéchirés à qui-mieux-mieux à propos, bien souvent, d’entubages de mouches, leurs égos étant aussi disproportionnés que leur talent à surprendre… et, parfois, à faire rire en se fondant sur le bon sens paradoxal communément répandu dans notre population.

Exemple : la fameuse toile de Magritte intitulée « Ceci n’est pas une pipe » et représentant précisément une pipe n’en est pas une, puisque c’est un tableau…

Cette façon d’appréhender le réel sous un angle malicieux et paradoxalement bien concret (un autre tableau de Magritte, un autoportrait, le montre en train de peindre un œuf, qui sur la toile est un oiseau…) caractérise largement l’œuvre de nos maîtres du genre, Achille Chavée (1906-1969), Louis Scutenaire (1905-1987), E. L. T. Mesens (1903-1971) ou Marcel Mariën (1920-1993), qui ne craignaient de choquer ni le bourgeois, ni les institutions, ni leurs pairs et ne rataient pas l’occasion d’en rajouter une couche.

En outre, ce mouvement connaîtra en Belgique une longue apogée avant, pendant et après le Seconde Guerre mondiale pour se prolonger encore de nos jours à travers des artistes aussi divers que Jean-Pierre Verheggen (1942-), Jan Bucquoy (1945-), Philippe Geluck (1954-) ou Wim Delvoye (1965-) déjà cité.

Bien entendu, le surréalisme artistique ne se résume pas en Belgique à la concrétisation de bons mots, et il a donné des œuvres d’une grande diversité chez ses initiateurs et leurs épigones comme l’écrivain et cinéaste Ernst Moerman (1897-1944), les peintres Paul Delvaux (1897-1994) et Jane Graverol (1905-1984), les poètes Christian Dotremont (1922-1979), André Blavier (1922-2001) et André Balthazar (1934-), le sculpteur Pol Bury (1922-2005), le cinéaste André Delvaux (1926-2002), l’écrivain, dramaturge et poète Hugo Claus (1929-2008), le peintre et graveur Pierre Alechinsky (1927-)… voire l’extravagant Michel de Ghelderode (1898-1962) et l’initiateur du réalisme magique, Robert Poulet (1893-1989), dont les survivants produisent encore de nos jours et qui tous ont leurs inconditionnels aux quatre coins de la planète (qui n’en a d’ailleurs pas, de coins…).

Et il ne fait aucun doute à nos yeux que leur appréhension du réel est en parfaite adéquation avec celle de la population de notre pays, où chacun trouve normal que le mendiant à l’entrée d’une grande surface de province s’en aille à heure fixe pour prendre son train, que des professeurs de mathématiques soient contraints de participer à un recyclage en œnologie, que le ministre wallon du Budget et des Finances ait été un ivrogne patenté, que la Flandre commémore chaque année la bataille des Éperons d’or (une victoire wallonne, puisque remportée pour l’essentiel par des Namurois), que les flamingants se réfèrent aux idées d’un écrivain français, Henri Conscience, auteur du Lion des Flandres, que les Francophones célèbrent chaque 27 septembre la déroute des occupants hollandais, provoquée en 1830 par le peuple flamand de Bruxelles, que l’hymne national glorifie « le Belge sortant du tombeau » ou qu’on ait aujourd’hui dans nos quatre régions un nombre de ministres tel que, si on appliquait en Chine leur proportion rapportée au nombre d’habitants, il y en aurait 10 000…

De quoi s’écrier, en paraphrasant Tintin : « Vive la Belgique et les pommes de terre frites ! »

PÉTRONE


Florilège :

« Laissons à Dieu le soin d’assurer son propre salut. »

« L’économie mondiale demeure une notion abstraite aussi longtemps que l’on ne possède pas un compte en banque. » (Achille Chavée, par ailleurs marxiste)

« La poésie est une pipe. »

« Le surréalisme, c’est la connaissance immédiate du réel. » (René Magritte)

« Souvent, au lieu de penser, on se fait des idées. »

« Il faut regarder la vie en farce. » (Louis Scutenaire)

« Trouvez donc aux paroles la saveur d’une bouche. »

« Voir est un acte : l’œil voit comme la main prend. » (Paul Nougé)

« Le nez est l’idiot du visage. »

« La musique adoucit les morts. » (Marcel Mariën)

« Si les lentilles vous font péter, portez des lunettes. »

« Le 1er janvier 1945 à Hiroshima, les gens s’étaient souhaité une bonne et heureuse année. » (Philippe Geluck)

Quelques titres des ouvrages de Jean-Pierre Verheggen : Le degré Zorro de l’écriture (1978), Divan le terrible (1979), Ninietzsche, Peau d’chien (1983), Artaud Rimbur (1990), Ridiculum vitae (1994), Debord, les mous (1996), L’oral et hardi (2001), Metz in Japan (2005), L’idiot du vieil-âge (2006), Le dernier qui sort éteint la lumière et ferme l’aorte (2009), Un jour, je serai Prix Nobelge (2013)…

Propos surréalistes de politiciens belges :

Signature de Jean-Luc Dehaene, Moscou, 1998.

Avant le vote du référendum sur le traité de Lisbonne, Jean-Luc Dehaene a déclaré : « Si le résultat est non, il faudra revoter, car il faut absolument que ce soit oui ».

« Il n’y a aucune préoccupation particulière à propos de Dexia » (Yves Leterme, juste avant la faillite)

« Me retrouver ici, sur le banc des accusés, c’est triste ». (Jean-Claude Van Cauwenberghe au parlement wallon le 04/03/2013)


[1] Qui assurait d’ailleurs que « ce qu’il y a d’admirable dans le fantastique, c’est qu’il n’y a plus de fantastique : il n’y a que le réel ».

Date de publication
samedi 13 avril 2013
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