« Un gros crachat de 664 pages produit d’un cacographe maniaque, nabot impulsif et malsain. » (Charles Maurras à propos des Décombres)

Le dossier Rebatet

Fils d’un notaire de province républicain et d’une mère très catholique, le Français Lucien Rebatet (1903-1972), un critique musical et cinématographique, écrivain et journaliste fasciste, athée, anticommuniste, collaborationniste et antisémite extrêmement virulent [1], est l’auteur d’un livre maudit qui fut le best-seller de l’Occupation : Les Décombres, ouvrage qui lui a valu, entre autres raisons, d’être condamné à mort en 1946.

En 2015, ce texte est ressorti dans son intégralité pour la première fois depuis 1942 dans Le dossier Rebatet – Les Décombres – L’Inédit de Clairvaux, une publication critique établie et annotée par l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon [2] accompagnée d’une préface de Pascal Ory [3] et du journal de prison de Rebatet (L’Inédit de Clairvaux, un plaidoyer pro domo, bien entendu, mais qui constitue aussi un intéressant témoignage sur le système répressif et carcéral français de l’époque…), à Paris, aux Éditions Robert Laffont, dans la collection « Bouquins », après avoir reparu en 1976 chez Jean-Jacques Pauvert, amputé de ses chapitres les plus délirants, notamment celui intitulé « Le ghetto ».

Pour la première fois aussi, alors que l’ouvrage est en libre accès sur le Net, il est accompagné d’un appareil critique important, qui permet de le lire en connaissance de cause, de le resituer dans le climat de l’époque, avec ses outrances, ses haines et ses préjugés dont Rebatet fut l’un des plus véhéments porte-parole.

Ce livre, empreint d’un antisémitisme viscéral et obsessionnel, apparaît aujourd’hui comme un document historique édifiant sur l’état d’esprit, les phobies et les dérives de toute une génération d’intellectuels se réclamant du fascisme.

L’auteur n’étant pas dénué de talent d’écriture, comme l’a prouvé son roman Les Deux Étendards, publié par la NRF en 1951 à l’instigation de Jean Paulhan, et son Histoire de la musique (1969), Les Décombres constituent également une œuvre littéraire à part entière, reconnue comme telle, y compris par nombre de ses détracteurs les plus résolus.

Pascal Ory, qui a soutenu dès l’origine l’idée d’une réédition intégrale, mais encadrée et commentée, fournit dans une préface très éclairante les explications qui la justifient.

PÉTRONE

Le dossier Rebatet – Les Décombres – L’Inédit de Clairvaux, édition établie et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon, préface de Pascal Ory, Paris, Éditions Robert Laffont, collection « Bouquins », octobre 2015, 1 152 pp. en noir et blanc au format 13,2 x 19,7 cm sous couverture brochée en couleurs, 30 € (prix France)

 

[1] En avril 1929, Lucien Rebatet est engagé comme critique musical au journal nationaliste et monarchiste L’Action française dirigé par Charles Maurras, dans lequel il écrit sous le pseudonyme de François Vinneuil. Le 30 avril 1932, il devient journaliste à Je suis partout. Mobilisé en janvier 1940, est libéré le 15 juillet 1940, il rejoint Vichy où il travaille à la radio. De retour à Paris, après un passage au journal Le Cri du peuple de Jacques Doriot, il revient à Je suis partout qui devient, à partir de 1941, le principal journal collaborationniste et antisémite français sous l’occupation nazie. En juillet 1944, avec Louis-Ferdinand Céline, Rebatet se réfugie à Sigmaringen en Allemagne avant d’être arrêté Feldkirch le 8 mai 1945 et d’être jugé à Paris le 18 novembre 1946. Grâce à une pétition d’écrivains comprenant notamment les noms de Camus, Mauriac, Paulhan, Martin du Gard, Bernanos, Aymé et Anouilh, le président de la République Vincent Auriol le gracie le 12 avril 1947, et sa condamnation à mort est commuée en peine de travaux forcés à perpétuité, à la prison de Clairvaux. Libéré le 16 juillet 1952 et d’abord assigné à résidence, Lucien Rebatet revient à Paris en 1954, où il reprend son activité de journaliste, travaillant pour l’hebdomadaire d’extrême droite Rivarol à partir de 1958. Lors de l’élection présidentielle de 1965, Rebatet soutient François Mitterrand et, en 1967, Lucien Rebatet glorifie la guerre israélienne contre les États arabes : « La cause d’Israël est là-bas celle de tous les Occidentaux. On m’eût bien étonné si l’on m’eût prophétisé en 1939 que je ferais un jour des vœux pour la victoire d’une armée sioniste. Mais c’est la solution que je trouve raisonnable aujourd’hui. » (in Michaël Bloch, L’extrême-droite française face à la question israélienne, mémoire IEP Aix en Provence, p. 33).

(Sources : https://fr.wikipedia.org/wiki/Lucien_Rebatet et https://fr.wikipedia.org/wiki/Je_suis_partout)

[2] Bénédicte Vergez-Chaignon est docteure en histoire. Elle est l’auteur de plusieurs livres sur la Résistance, Vichy et l’épuration et elle a publié une biographie du maréchal Pétain (chez Perrin en 2014).

[3] Pascal Ory est professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne et l’auteur d’ouvrages sur la collaboration qui font autorité. Il a dirigé le Dictionnaire des étrangers qui ont fait la France, paru dans  la collection « Bouquins ».

Date de publication
mercredi 9 août 2017
Entrez un mot clef :