Princesse des ténèbres…

Leçons de ténèbres

Toujours aussi talentueuse, la romancière et poétesse belge Corinne Hoex, avec Leçons de ténèbres, un recueil paru aux Éditions Le Cormier à Bruxelles, s’est lancée cette fois dans la composition d’un livret musical étonnant, le texte d’un Office des Ténèbres profane.

L’Office des Ténèbres est le nom donné dans le rite romain aux matines et aux laudes des trois derniers jours de la Semaine sainte (jeudi, vendredi, samedi) qui étaient anticipées le soir précédent. L’office devait « commencer de manière à finir après le coucher du soleil », d’où le nom de « Ténèbres ».

Ces offices revêtent un caractère de deuil, de tristesse et de douleur.

Le choix des psaumes y met sous les yeux les douleurs de la Passion de Jésus-Christ, le Jeudi saint, au Jardin des Oliviers ; le Vendredi saint, devant les tribunaux et au Calvaire ; le Samedi saint, au Sépulcre.

Les leçons du 1er nocturne sont tirées des Lamentations de Jérémie où le prophète pleure la ruine et la destruction de Jérusalem et de son temple.

Pendant le chant du Benedictus, on éteint progressivement 14 des 15 cierges placés dans un chandelier triangulaire et allumés avant l’office. Ensuite, le quinzième cierge, celui qui est placé au sommet du chandelier, est caché derrière l’autel jusqu’à la conclusion de l’office qui dure entre une heure trente et deux heures quarante-cinq.

Mais, sous la plume de Corinne Hoex, les lamentations de Jérémie sont remplacées par une citation vénéneuse des Fleurs du mal de Charles Baudelaire :

Comme tu me plairais, ô nuit ! sans ces étoiles

Dont la lumière parle un langage connu !

Car je cherche le vide, et le noir, et le nu !

Et Jésus se mue en Gesu… aldo (1566-1613), le sulfureux prince et compositeur italien (dont l’œuvre, relativement peu abondante, est presque entièrement consacrée à la voix traitée en polyphonie), qui assassina à Naples son épouse et l’amant de celle-ci dans la nuit du 16 au 17 octobre 1590, un « crime d’honneur » qui fit couler beaucoup d’encre jusqu’au XIXe siècle.

Par la suite, à partir de 1610 et après la mort de son fils né d’un second mariage, Gesualdo s’infligea des séances de pénitence, avec des pratiques de flagellation qui ont grandement contribué à sa célébrité posthume.

Très concentrées et suivant pas à pas la progression du rituel, les 48 courtes leçons de Corinne Hoex sont autant de diamants noirs qui scintillent dans la pénombre et ravivent l’effroi autour de la destinée du seul compositeur criminel qu’a connu la musique classique d’Occident.

Une prouesse technique hallucinante !

Au passage, saluons l’élection de Corinne Hoex à l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, au fauteuil 13, dans lequel elle a succédé le 29 avril 2017 à Françoise Mallet-Joris.

Une reconnaissance publique amplement justifiée !

PÉTRONE

Leçons de ténèbres par Corinne Hoex, avec une gravure originale de Véronique Goossens, Bruxelles, Éditions Le Cormier, septembre 2017, 71 pp. en noir et blanc au format 14,3 x 21 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 16 €

Date de publication
mercredi 25 octobre 2017
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