Un train peut en cacher un autre…

Boualem Sansal (°1949) vit à Boumerdès, près d’Alger. Il est notamment l’auteur du Serment des Barbares, Prix du premier roman 1999 et du Village de l’Allemand, Grand Prix RTL-Lire en 2008 et Grand Prix SGDL du roman la même année. Il a reçu le Prix de la Paix des libraires allemands en 2011, le Prix du Roman arabe en 2012 pour Rue Darwin, et s’est vu décerner en 2013 le Grand Prix de la Francophonie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre tandis que 2084, La fin du monde a été récompensé par le Grand prix du roman de l’Académie française en 2015.

La collection « Folio » des Éditions Gallimard accueille ces jours-ci en version de poche [1] son roman aussi étonnant par le contenu que déroutant dans la forme intitulé Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu,dont voici le pitch :

« Héritière d’un puissant empire industriel, Ute von Ebert vit à Erlingen, une bourgade cossue du sud de l’Allemagne. Dans des lettres au ton très libre et souvent sarcastique, elle s’adresse à sa fille Hannah qui habite Londres.

Elle lui raconte l’arrivée d’un ennemi fanatique à Erlingen : « les Serviteurs » qui ont imposé comme loi unique la soumission à leur dieu.

Les habitants attendent fiévreusement un train qui doit les évacuer. Mais le train du salut n’arrive pas… »

Et dont voici le prologue par l’auteur :

« Ce roman raconte les derniers jours de la vie d’Elisabeth Potier, professeure d’histoire-géographie à la retraite, habitant la Seine-Saint­ Denis, victime collatérale de l’attentat islamiste du 13 novembre 2015 à Paris. Après quelques jours entre la vie et la mort, elle émerge de son coma avec une autre personnalité et c’est sous cette identité qu’elle décédera un mois plus tard. Décrypter le témoignage écrit qu’elle a laissé à sa fille Léa, et à nous incidemment, n’est pas facile, les voies de l’au-delà sont impénétrables. Pour y comprendre quelque chose, il faut passer par l’incroyable histoire qu’Ute Von Ebert, cheffe actuelle de la puissante dynastie Von Ebert, habitant Erlingen en Allemagne, dont l’empire financier et industriel, né en Amérique au XIXsiècle, s’ancre aujourd’hui dans les cinq continents, a laissée par écrit à sa fille Hannah, alors que le monde s’écroulait autour d’elle et que la survie des habitants d’Erlingen dépendait d’un train fantôme. Entre les deux femmes existe un lien par-delà le réel. Et comme on hérite du mystère de ses parents, leurs filles, Léa et Hannah, qui vivent toutes deux à Londres, sont prises dans le même mystérieux lien de gémellité qui liait leurs mères.

Les deux histoires additionnées sont une quête de vérité à travers les continents et les époques, vérité que certains, que nous dénonçons au passage, affirment posséder en exclusivité et entendent imposer au monde entier. La construction du roman s’éloigne notablement des cadres habituels de la narration romanesque et peut dérouter, mais ainsi est le chemin de la vérité, bien fait pour nous perdre. Dans cette vie, rien ne nous est donné gratuitement. La lecture, si elle s’accompagne d’une véritable méditation, est un acte initiatique. »

Qui a donné une interview :

Vous définissez le roman comme une « chronique sur les temps qui courent ». Qu’entendez-vous par cette formule ?

Rien de nouveau sous le soleil. Nous vivons les mêmes événements qui ont conduit aux grandes migrations du passé, à la montée des fascismes, aux guerres mondiales, aux folies religieuses, aux grandes défaites morales. Le roman en fait la recension.

Vous renvoyez dos à dos les fanatiques et les « mauviettes » de la « mondialisation matérialiste heureuse ». Est-ce aussi simple ?

Mon idée n’est pas d’ignorer les choses parce que je ne les comprends pas. Je veux au contraire y regarder de près, les déconstruire et chercher dans les interstices des explications plus vraies. La raison n’a pas disparu, il faut bien la chercher.

En écrivant « Nulle odeur n’est plus mortifère que celle de l’argent et de l’encens réunis », qui visez-vous ?

Je vise davantage des milieux que des pays. Je pointe ces oligarchies sectaires détentrices d’un pouvoir absolu obtenu par la manipulation de l’argent et de la religion. Elles sont en Amérique et dans le Golfe mais pas seulement, la sainte alliance gagne du terrain.

Peut-on lire le roman comme un avertissement sévère à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, acceptent la soumission ?

Il faut avertir les gens avant qu’ils tombent dans la soumission. Après, c’est trop tard. Le roman appelle de même à combattre les vendeurs de soumission et les idiots utiles qui les encouragent par leurs sourires obséquieux [2].

On trouve en outre dans ce roman – de l’aveu même de Boualem Sansal [3] – l’influence notamment du Désert des Tartares [4] de Dino Buzzati dans lequel l’impuissance se mêle à l’absurde pour ne déboucher sur rien.

Un ouvrage magistral !

PÉTRONE

Le train d’Erlingen ou La métamorphose de Dieu par Boualem Sansal, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio », mai 2020, 289 pp. en noir et blanc au format 10,9 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 8 € (prix France)


[1] L’édition princeps a paru en 2018 chez le même éditeur dans la collection « Blanche ».

[2] http://www.gallimard.fr/Media/Gallimard/Entretien-ecrit/Entretien-Boualem-Sansal.-Le-train-d-Erlingen

[3] Qui revendique aussi celles de Henry David Thoreau, Franz Kafka, Charles Baudelaire et Constantin Virgil Georghiu.

[4] Qui inspira à Jacques Brel la chanson Zangra en 1961.

Date de publication
samedi 4 juillet 2020
Entrez un mot clef :