Vie et mort d’une multinationale…

Prestigieux historien britannique, membre de la Royal Society of Literature, de la Royal Geographical Society et de la Royal Society of Edinburgh, William Dalrymple (°1965) s’est fait connaître par ses travaux sur l’Inde, le Pakistan, le Moyen-Orient, le monde musulman et les premiers chrétiens d’Orient[1].

Il s’est tout particulièrement spécialisé dans l’histoire des Indes britanniques. Ses travaux sur la révolte des Cipayes de 1857, qui ont donné lieu à la publication du Dernier Moghol, se sont appuyés sur des documents inédits en persan et en ourdou conservés notamment à Delhi. Il a également planché sur la rivalité franco-anglaise au XVIIIe siècle pour le contrôle de Hyderabad.

Il partage sa vie avec son épouse et leurs trois enfants entre sa maison de campagne de Mehrauli près de New Delhi, en Inde, et la Grande-Bretagne (Londres et Édimbourg).

Aux Éditions Noir sur blanc à Lausanne, il a fait paraître un essai magistral extraordinairement documenté et illustré, Anarchie – L’implacable ascension de l’East India Company,qui raconte l’histoire horrifique des débuts et de l’apogée de la Compagnie anglaise des Indes orientales.

En 1765, l’East India Company force le jeune empereur moghol Shah Alam II (1728-1806) à établir une nouvelle administration dans ses riches provinces. Cette administration, composée de marchands anglais, s’appuie sur une armée privée pour collecter des taxes. L’Inde subit dès lors une véritable privatisation.

Dès ce moment, la Compagnie anglaise des Indes orientales cesse d’être une entreprise conventionnelle, spécialisée dans la soie et les épices, pour devenir une entité tout à fait inhabituelle : un pouvoir colonial agressif, basé sur le chantage, la violence et la corruption, qui étend son emprise sous le couvert d’une activité commerciale.

En moins de quarante ans, la Compagnie lève une armée de près de 200 000 hommes, conquiert le Bengale, et finalement, en 1803, la capitale moghole de Delhi.

Anarchie, qui se lit comme un thriller à rebondissements, raconte comment l’un des plus puissants empires du monde s’est désintégré, tombant entre les mains d’une compagnie privée basée dans un petit bureau à des milliers de kilomètres, la plus grande partie de l’Inde se voyant dès lors dirigée depuis Londres.

Notons que l’influence de l’East India Company s’est étendue à tous les continents : elle a, entre autres, fondé Hong Kong et Singapour, répandu la culture du thé en Inde et l’usage de l’opium en Chine, retenu Napoléon captif à Sainte-Hélène, et s’est trouvée directement impliquée dans la Boston Tea Party (1773) qui servit de déclenchement à la Guerre d’indépendance des États-Unis (1775-1783).

Son destin fut scellé par une mutinerie des cipayes de son armée le 10 mai 1857, laquelle entraîna un soulèvement populaire dans le Nord et le centre de l’Inde.

Cette rébellion menaça grandement le pouvoir de la Compagnie dans la région et fut écrasée dans le sang – par la pendaison et le meurtre de dizaines de milliers de suspects dans les villes commerçantes des bords du Gange – après la chute de Gwâlior, le 20 juin 1858.

Cette répression infâme mena à la dissolution de la Compagnie en 1858 et força les Britanniques à réorganiser l’armée, le système financier et l’administration des Indes qui passèrent sous le contrôle de la Couronne jusqu’à leur accès à l’indépendance en 1948.

Un ouvrage captivant !

PÉTRONE

Anarchie – L’implacable ascension de l’East India Company par William Dalrymple, ouvrage traduit de l’anglais par France Camus-Pichon, Lausanne, Éditions Noir sur blanc, octobre 2021, 587 pp. en noir et blanc + 48 pp. en quadrichromie au format 15 x 23 cm sous couverture brochée en couleurs, 25 € (prix France)


[1] Sur les pas de Marco Polo, voyage à travers l’Asie centrale (Lattès, 1993), Dans l’ombre de Byzance (Noir sur blanc, 2002), L’Âge de Kali, à la rencontre du sous-continent (Noir sur blanc, 2004), La Cité des Djinns – Une année à Delhi (Noir sur blanc, 2006), Le Moghol blanc (Payot, 2008), Le Dernier Moghol – La chute d’une dynastie, Delhi, 1857 (Noir sur blanc, 2008), Neuf vies, à la recherche du sacré dans l’Inde (Noir sur blanc, 2010),  Le Retour d’un roi, la bataille d’Afghanistan (Noir sur blanc, 2014), Kohinoor – The Story of the World’s Most Infamous Diamond, Bloomsbury (2017, en collaboration avec Anita Anand).

Date de publication
jeudi 28 octobre 2021
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