Romancier, dramaturge et déjà biographe de Berlioz[1], Mahler[2] et Beaumarchais[3], Christian Wasselin (°1959) est à Radio France chargé des publications de la direction de la musique et rédacteur en chef de La Lettre des concerts. Il collabore régulièrement à Opéra international, à Opéra Magazine, au site Webthea ainsi qu’à Scènes Magazine et il publie chez Gallimard un passionnant récit fort bien troussé de la vie du musicien Erik Satie (1866-1925), l’auteur des Gymnopédies (1888) et des Gnossiennes (1890-1897) qui ont prolongé sa renommée jusqu’à nos jours.
Inclassable, bien qu’associé un temps au symbolisme, Erik Satie est considéré comme un précurseur de plusieurs mouvements, dont le néoclassicisme, le surréalisme, le minimalisme, la musique répétitive et le théâtre de l’absurde.
C’était par ailleurs un personnage très fantasque.
Élevé entre la Normandie et Paris dans la religion anglicane par une mère d’origine écossaise qu’il perdra en 1872, puis recueilli par ses grands-parents à Honfleur, il se convertit au catholicisme, apprit dès 1876 les rudiments du piano avec la nouvelle épouse de son père qu’il détestait, fut inscrit en 1879 au Conservatoire de musique de Paris dont il fut renvoyé deux ans plus tard pour « manque de talent » (il s’y ennuyait profondément), s’engagea en 1884 dans l’armée où il se fit bientôt porter pâle, s’installa à Montmartre en 1887, y fréquenta le fameux cabaret Le Chat noir [4]à partir de 1890 et s’intéressa en 1891 à l’Ordre de la Rose-Croix catholique et esthétique du Temple et du Graal fondé par l’occultiste Joséphin Peladan (1858-1918).
En qualité informelle de maître de chapelle de cet ordre, Erik Satie composa plusieurs œuvres dont les Sonneries de la Rose-Croix (1891) et Le Fils des Étoiles (1892), puis, dans un élan mystique, il créa « l’Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur » dont il fut à la fois le trésorier, le grand-prêtre et le seul fidèle, après quoi il devint socialiste…
Portrait d’Erik Satie par Suzanne Valadon (1893)
Huile sur toile, 41 x 22 cm, Musée national d’Art moderne, Centre Pompidou, Paris
Sur le plan sentimental, il vécut en 1893 la seule passion qu’on lui connaît, avec la peintre Suzanne Valadon (1865-1938) pour qui il composa les Danses gothiques tandis qu’elle réalisa son portrait, une liaison qui dura 5 mois et le laissa groggy.
Il eut de nombreux amis : Stéphane Mallarmé, Paul Verlaine, Claude Debussy, Maurice Ravel, Pablo Picasso, Georges Braque, Tristan Tzara, Francis Picabia, André Derain, Marcel Duchamp, Man Ray et Jean Cocteau (avec qui il « parraina » le Groupe des Six[5]).
Sur le plan musical, il rejeta l’enseignement académique avant de passer en 1905 par la Schola Cantorum de Vincent d’Indy (1851-1931) pour y apprendre le contrepoint durant trois ans.
Sur le plan personnel, il vécut dans la misère et s’absintha beaucoup, ce qui le fit mourir à 59 ans d’une cirrhose du foie…
Il laisse une œuvre pour le moins originale, en sus des compositions déjà citées : un Allegro (1884), quatre Ogives (1886) pour piano, trois Sarabandes (1887), une Messe des pauvres pour orgue et chœur (1895), cinq Nocturnes (1919), ainsi que des créations aux titres surprenants comme Vexations (1893), Pièces froides : trois Airs à fuir (1897), Pièces froides : trois Danses de travers (1897), Trois morceaux en forme de poire (1903), Aperçus désagréables (1908-1912), Préludes flasques (pour un chien) (1912), Embryons desséchés (1913), Chapitres tournés en tous sens (1913), Croquis et Agaceries d’un gros bonhomme en bois (1913), Sports et divertissements (1914), Les Trois Valses distinguées du précieux dégoûté (1914), Sonatine bureaucratique (1917)…
Un joyeux provocateur, fort bien raconté par un biographe de talent…
PÉTRONE
Erik Satie par Christian Wasselin, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio Biographies », mai 2025, 340 pp. en noir et blanc + un cahier photo de 8 pp. en quadrichromie au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 10,50 € (prix France)
[1] Berlioz, les deux ailes de l’âme, Paris, Gallimard, 1989, réédité en 2002, Berlioz ou le Voyage d’Orphée, Monaco, Le Rocher, 2003 et Cahier Berlioz (avec Pierre-René Serna), Paris, L’Herne, 2003.
[2] Mahler, la symphonie-monde, Paris, Gallimard, 2011.
[3] Beaumarchais, Paris, Gallimard, 2015.
[4] Situé au pied de la butte Montmartre au 68, boulevard de Clichy dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le cabaret du Chat noir fut l’un des grands lieux de rencontre du Tout-Paris et le symbole de la bohème à la fin du XIXe siècle.
[5] Un groupe de musiciens baptisé ainsi en 1920 par la presse, composé de Georges Auric (1899-1983), Louis Durey (1888-1979), Arthur Honegger (1892-1955), Darius Milhaud (1892-1974), Francis Poulenc (1899-1963) et Germaine Tailleferre (.1892-1983). Autre source consultée : Wikipédia.