Formidable écrivain-voyageur doté d’une plume poétique qui rappelle dans ses descriptions, mais pas dans le culte de la modernité, celle du bourlingueur suisse Blaise Cendrars (1887-1961), le géographe français Sylvain Tesson[1] (°1972) voit sortir en poche chez Gallimard[2] son inoubliable Avec les fées, un récit qui mène le lecteur par la voie maritime (en voilier pendant trois mois avec deux amis) à la découverte de ces promontoires qui, sur une carte, « dessinent un arc » de l’Espagne à l’Écosse en passant par la Bretagne, l’Angleterre, le Pays de Galles, l’île de Man et l’Irlande.
Citant d’emblée L’Oiseau bleu[3] (1908) de la figure de proue belge du symbolisme Maurice Maeterlinck (1862-1949, prix Nobel de littérature en 1911), Sylvain Tesson précise néanmoins qu’une fée accompagnatrice de son voyage est pour lui « une qualité du réel révélée par sa disposition du regard ».
Et ses descriptions en deviennent féeriques.
Florilège :
« Au sommet du tertre de Foel Eryr, à quatre cent quatre-vingt-dix mètres d’altitude (nous avions nos Everest modestes), la campagne enrichie par des millénaires d’efforts, de prières et d’averses moutonnait jusqu’à la mer. Vue du tumulus érigé il y a deux mille ans avant Jésus-Christ, la mer était une lame d’or sous le ciel qui s’était déchiré au-dessus de la côte. »
« Sur les falaises, les cormorans séchaient leurs soutanes. Les pétrels, accrochés aux parois, blanchissaient les schistes noirs. Les oiseaux tendent leur linge en famille. »
« Je croisai une colonne de vieilles dames anglaises à cheveux bleus et vestes roses : des hortensias vivants. »
« Le Connemara est un dos de bête usée. Le silence écrase ces pelades piquetées de lacs gris. Un paysage de retrait glaciaire a toujours des airs épuisés. »
« La tourbe, cimetière du temps. Chaque bruyère piquée par le soleil mettait une touche suave dans le délabrement de rochers que des millénaires de glaciation avaient découragés de se dresser. »
« Les pentes montaient vers un manoir néogothique soucieux comme un visage protestant. »
« Le vent est la joie de vivre de la mer. »
Le tout constellé de réflexions profondes et sagaces sur la destinée, les élans des Celtes vers l’ouest, les récits anciens et les légendes d’autrefois, l’histoire du paganisme et du christianisme, la pérennité de l’immuable (océans, ciels, falaises, phares, rivages, rochers, plaines, forêts, alignements de Stonehenge, châteaux en ruine…), les travers du monde moderne livré à la laideur et à l’argent, les symboles (la croix, le triskell, la musique irlandaise…), les dires d’autres auteurs (Georges Perec, Louis Aragon, André Breton, Victor Hugo, Jacques Chardonne, Michel Déon, Jack Kerouac, Hermann Hesse, Walter Scott, Jules Michelet, Chrétien de Troyes, William Wordsworth, William Butler Yeats, Lord Byron…) et de philosophes (Héraclite, Parménide, Épicure, Thérèse de Lisieux…).
Un beau voyage homérique…
PÉTRONE
Avec les fées par Sylvain Tesson, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio », juin 2025, 219 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 9 € (prix France)
[1] Il est le fils de Philippe Tesson (1928-2023), journaliste et patron de presse, et de Marie-Claude Millet (1942-2014), médecin spécialisée en rhumatologie et en médecine tropicale, qui ont fondé ensemble Le Quotidien du médecin en 1971, après quoi Philippe Tesson lança Le Quotidien de Paris en 1974.
[2] L’édition princeps a paru aux Éditions des Équateurs en 2024 et remporté le prix Combourg-Chateaubriand.
[3] [3] « C’est bien curieux, les hommes… Depuis la mort des fées, ils n’y voient plus du tout et ne s’en doutent point. »