Collaborations horizontales…

Cyril Eder, ancien professeur de lettres en Californie, a travaillé longtemps sur les archives secrètes et judiciaires des milieux de la collaboration française et il a publié en 2006 Les Comtesses de la Gestapo, un essai richement documenté et toujours disponible en version de poche aux Éditions Tallandier à Paris (dans la collection « Texto » dirigée par Jean-Claude Zylberstein).

Après la Seconde Guerre mondiale, on appela « comtesses de la Gestapo » un groupe d’aventurières plus ou moins exotiques, sans vergogne, sans morale et menées par l’appât du gain, des collaboratrices horizontales qui, tapinant des bureaux de l’hôtel Majestic aux sous-sols de la rue Lauriston en passant par les locaux du Service Knochen à ceux de la Kriegsmarine, commirent leurs crimes sous la protection de la Gestapo française et allemande ainsi que des gros trafiquants du marché noir à Paris pendant l’occupation nazie.

Il s’agit notamment de :

– La comtesse russe Mara Tchernycheff (°1915), mannequin, chanteuse et actrice opiomane connue sous le nom Illa Meery[1], mais aussi de Madame Garat, qui fut un temps la maîtresse du gestapiste Henri Lafont[2] et s’enrichit dans le trafic d’alcool et de sous-vêtements féminins avant de s’installer dans un appartement spolié à une famille juive. Elle eut de nombreuses liaisons avec des officiers allemands et notamment des membres du SD[3].

– La princesse Euphrosine Mourousi[4] (1907-1965), grecque et morphinomane, qui faisait du trafic de cigarettes et dénonça des familles juives et d’immigrés russes. Elle fut condamnée en janvier 1950 à trois ans de prison ferme et 20 ans d’interdiction de séjour pour avoir dénoncé plusieurs Juifs russes aussi bien à la police française qu’à la Gestapo.

– La marquise de San Carlos de Pedroso (née María Angustias Núñez del Prado), une Espagnole franquiste de la première heure, qui s’acharnait sur les réfugiés républicains qu’elle dénonçait.

– La comtesse Ilde von Seckendorff (1907-1971), une authentique aristocrate allemande qui espionnait pour le compte du SD le Tout-Paris, notamment « deux salons cotés, très accueillants aux hautes personnalités allemandes, les Melchior de Polignac et Madame von Mumm, deux membres éminents du Gotha du champagne ».

– La comtesse Marie Olinska (pseudonyme de Sonia Irène Blache), actrice française de cinéma[5] débutante, héroïnomane, abouchée avec un comte polonais, Stephan Olpinski, agent du contre-espionnage allemand, puis acoquinée avec le danseur russe philonazi Serge Lifar (1904-1986), et qui, après la guerre finira, selon les versions, suicidée au Maroc ou dame pipi à Montparnasse….

– La marquise Sylvie d’Abrantès (°1912), née Sylviane Quimfe, mais authentiquement marquise après son mariage avec Maurice Le Ray d’Abrantès, française, mythomane et courtisane dessalée, associée pendant la guerre à un truand de la Gestapo française impliqué dans d’innombrables crimes et méfaits.

– La comtesse de Bernardi, (Antoinette Élodie Hugues, dite), une hétaïre française vieillissante qui, ne pouvant plus user de ses charmes, se rabattit sur la délation en fournissant à Lafont les informations pour un « casse » qui échoua et en dénonçant à la Milice un petit truand, Pierre Desmoulins, qui se vantait d’être l’un des assassins du ministre de Vichy Philippe Henriot en juillet 1944.

– La baronne Beck de Beaufort (pseudonyme d’Olla, épouse Lemesle, née baronne Bacher, Allemande) qui « reçut à draps ouverts la crème du haut commandement allemand du Gross Paris » et publia des articles dans le quotidien collaborationniste Paris-Soir sous le nom de plume d’Olange avant de partir en mission pour le SD à Royan, puis en Espagne en 1943.

– La fausse comtesse de Thucé, en réalité simple madame Hubert, spécialisée dans le trafic d’objets d’art.

Il y eut aussi des « comtes de la Gestapo » comme :

Serge de Lenz (°1892-1945), une sorte de gentleman-cambrioleur vivant aux crochets de vieilles femmes riches, qui, membre de la bande dite « Gestapo de Neuilly », racketta les cabarets, les restaurants de luxe et les prostituées.

Louis Piscatory, baron de Vaufreland, entré au service de l’Abwehr en mars 1941 – et « visiblement de mœurs anormales » comme l’écrivit Coco Chanel avec qui il se rendit en Espagne en juillet 1941 pour une mission secrète au profit du SD –, délateur de riches salonnards et de Juifs aisés auprès de son « ami » le lieutenant Neubauer

Guy, pseudo-comte de Marcheret (°1914), d’origine russe, follement amoureux de pro-l’espion nazi Philippe Pacheco dit de Bellune (1916-1945) qui l’entraîna sans son sillage pour surveiller ses compatriotes Russes blancs, livrer un réseau de passeurs vers l’Espagne, un autre de la Résistance lyonnaise, et arrêter MBiaggi, célèbre avocat et résistant corse, ainsi que de nombreux agents parachutistes anglais avant de participer au massacre de 34 jeunes gens en août 1944 dans le bois de Boulogne et de finir fusillé au fort de Montrouge le 20 avril 1949.

PÉTRONE

Les Comtesses de la Gestapo par Cyril Eder, Paris, Éditions Tallandier, collection « Texto » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, mars 2020 [2006, 2016], 258 pp. en noir et blanc au format 12 x 18 cm sous couverture brochée en couleurs, 9,50 € (prix France)


[1] Filmographie : Princesse Olala de Robert Land (1928) ; Der Raub der Sabinerinnen de Robert Land (1929) ; Das Weisse Paradies de Max Neufeld (1929) ; Cagliostro de Richard Oswald (1929) ; Les Aventures du roi Pausole d’Alexis Granowsky (1933) ; Lac aux dames de Marc Allégret (1934) ; Zouzou de Marc Allégret (1934) ; Pension Mimosas de Jacques Feyder (1934).

[2] Henri Chamberlin, dit Henri Lafont, né dans le XIIIe arrondissement de Paris le 22 avril 1902 et mort fusillé au fort de Montrouge à Arcueil le 26 décembre 1944, était un repris de justice et un collaborateur français qui, durant la Seconde Guerre mondiale, fut le chef de la Gestapo française (la « Carlingue ») sous l’occupation allemande. Il incarne la collusion entre la pègre française et les autorités nazies pendant l’Occupation, tant pour le pillage de richesses, la persécution et la spoliation des juifs, que pour la traque et la torture de résistants français.

[3] Le Sicherheitsdienst, régulièrement abrégé en SD, était en Allemagne à partir de 1931 le service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS.

[4] Mère d’Yves Mourousi (1942-1998), le célèbre journaliste français de radio et de télévision né de père inconnu, qu’elle abandonna peu de temps après l’avoir fait naître à Suresnes, une fois sortie de prison à laquelle elle avait été condamnée pour avoir escroqué des nazis.

[5] Elle a tenu un petit rôle dans Le loup de Malveneur de Guillaume Radot (1942)

Date de publication
lundi 27 mai 2024
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