À la guerre comme à la guerre…

Après avoir participé à la campagne de Waterloo en tant que chef d’état-major du 3e corps d’armée prussien du général Thielmann, le stratège prussien Carl von Clausewitz (1780-1831), dans son essai De la guerre rédigé entre 1816 et 1830 (un texte fortement inspiré par les idées hégéliennes compilé puis publié par son épouse en 1832 après sa mort), a donné une définition novatrice des conflits armés, qu’il compare à un duel : « La guerre est un acte de violence dont l’objectif est de contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté ». Cette thèse une fois posée, il analyse son antithèse selon la méthode dialectique, en écrivant : « La guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens ».

L’interprétation qui a été faite en France de cet ouvrage, notamment par Ferdinand Foch, a conduit à la stratégie de l’offensive à outrance en 1914, mais d’autres guerriers du XXe siècle s’en sont inspirés, notamment le général nord-vietnamien Giap qui n’était pas militaire mais historien et infligea aux États-Unis –et de quelle manière – la seule défaite de leur histoire…

Le texte de Clausewitz fit l’objet d’une étude monumentale par Raymond Aron (1905-1983) parue en 1976 sous le titre Penser la guerre, Clausewitz, dont les Éditions Gallimard à Paris ont ressorti en 2009, dans la fameuse collection « Tel », les deux volumes magistraux (L’âge européen et L’âge planétaire) toujours disponibles en librairie.

Disciple (à l’École normale supérieure) de Jean-Paul Sartre dont il fut l’exégète très averti et très critique, Raymond Aron qui était philosophe, sociologue, politologue et journaliste français (dans les colonnes du Figaro pendant trente ans, puis à L’Express), fut autant un chantre du libéralisme qu’un spécialiste incontesté de l’œuvre de Karl Marx et d’Alexandre Kojève, et ses cours au Collège de France attiraient les foules autant qu’elles déchaînaient les passions.

Sous la plume de Raymond Aron, la pensée de Clausewitz retrouve sa dimension essentielle : être une théorie en devenir, qui jamais ne trouva sa forme définitive. Dans le premier volume, l’auteur reconstruit, avec une rigueur exemplaire, le système intellectuel de celui qui voulut mettre à jour l’esprit, c’est-à-dire la nature et l’essence, de la guerre. Formation du système, tendances divergentes, synthèse finale, équivoque irréductible, rapports à Montesquieu, à Kant ou à Hegel – sur tous ces sujets, Aron formule des analyses qu’il confronte aux jugements des critiques allemands.

Le second volume prend l’exacte mesure de la place de Clausewitz dans le monde contemporain. Les grandes écoles d’état-major l’enseignent, Moltke comme Foch, Lénine comme Mao Tsé Toung l’ont lu, étudié ou appliqué. Qui d’entre tous s’y montre le plus fidèle ? Clausewitz peut-il lui-même être tenu pour responsable des massacres militaires et civils de la Première Guerre mondiale ou bien pour le plus farouche procureur contre la guerre d’anéantissement menée par Hitler ? Grâce à son échec dans l’action (il est mort du choléra et n’a pas pu appliquer ses théories), Clausewitz, tel Machiavel, a trouvé le loisir et la résolution d’achever au niveau de la conscience claire la théorie d’un art qu’il a imparfaitement pratiqué. Son héritage consiste en deux idées maîtresses : le principe d’anéantissement et la suprématie de l’intelligence politique sur l’instrument militaire. Pour Aron, l’arme nucléaire confirme la deuxième et modifie le sens de la première.

Du concentré d’intelligence, applicable aujourd’hui à la compréhension de la guerre d’Afghanistan et peut-être demain de celle du Mali…

PÉTRONE

Penser la guerre, Clausewitz (L’âge européen et L’âge planétaire) par Raymond Aron, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », novembre 2009, 472 + 365 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 9,15 € et 8,15 € (prix France)

Date de publication
mercredi 13 février 2013
Entrez un mot clef :