L’homme d’un grand rêve…

À l’occasion du cinquantenaire de son décès, les Éditions Gallimard à Paris ressortent la biographie de Martin Luther King bellement rédigée avec lyrisme par Alain Foix [1] et parue en 2012.

Martin Luther King Jr., né à Atlanta (Géorgie) le 15 janvier 1929 et mort assassiné le 4 avril 1968 à Memphis (Tennessee), était un pasteur baptiste afro-américain inspiré par Gandhi, militant non-violent pour les droits civiques des Noirs aux États-Unis, pour la paix et contre la pauvreté.

Entré à l’âge de 15 ans au Morehouse College, une université réservée aux garçons noirs, après avoir sauté deux années de lycée et sans avoir officiellement obtenu son certificat de fin d’études, il en sort avec le diplôme de Bachelor of Arts en sociologie le 20 juin 1948 et rentre au Crozer Theological Seminary pour un Bachelor of Divinity à Chester (Pennsylvanie) – qui correspond à une licence en théologie – qu’il obtient le 12 mai 1951. Il obtient son doctorat en théologie, à l’université de Boston, le 18 juin 1955.

Devenu en 1953 le pasteur de l’église baptiste de l’avenue Dexter à Montgomery (Alabama), il a organisé et dirigé avec le soutien du pasteur Ralph Abernathy des actions telles que le boycott (il dura 382 jours…) des bus de cette ville pour défendre le droit de vote, la déségrégation et l’emploi des minorités ethniques après que, le 1er décembre 1955, Rosa Parks, une femme noire, eut été arrêtée pour avoir violé les lois ségrégationnistes de la ville en refusant de céder sa place à un Blanc.

Martin Luther King fut lui-même conduit en prison durant cette campagne extrêmement tendue au cours de laquelle des racistes blancs ont eu recours au terrorisme : la maison de Martin Luther King fut attaquée à la bombe incendiaire le matin du 30 janvier 1956, ainsi que celle de Ralph Abernathy et quatre églises, et King a été victime de violences physiques.

Il a prononcé un discours célèbre le 28 août 1963 devant le Lincoln Memorial à Washington durant la marche pour l’emploi et la liberté : “I have a dream” (cf. infra).

Il était soutenu par John F. Kennedy dans la lutte contre la ségrégation raciale aux États-Unis ; la plupart de ces droits seront promus par le “Civil Rights Act” et le “Voting Rights Act” sous la présidence de Lyndon B. Johnson.

Martin Luther King fut le plus jeune lauréat du prix Nobel de la paix en 1964 pour sa lutte non-violente contre la ségrégation raciale et pour la paix.

Il commença alors une campagne contre la guerre du Viêt Nam et la pauvreté, qui prit fin en 1968 avec son assassinat officiellement attribué à James Earl Ray, dont la culpabilité et la participation à un complot sont toujours débattues.

Il s’est vu décerner à titre posthume la médaille présidentielle de la Liberté par Jimmy Carter en 1977, le prix des droits de l’homme des Nations unies en 1978, la médaille d’or du Congrès en 2004, et il est considéré comme l’un des plus grands orateurs américains. Depuis 1986, le Martin Luther King Day est jour férié aux États-Unis [2].

PÉTRONE

Martin Luther King par Alain Foix, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio biographies », avril 2018, 307 pp. en noir et blanc + 1 cahier de 8 pp. en quadrichromie au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 8,90 € (prix France)

J’ai un rêve

(Discours prononcé le 28 août 1963 par Martin Luther King à Washington devant le Lincoln Memorial)

Il y a cinq fois vingt ans, un grand Américain, qui aujourd’hui encore nous inonde de son ombre symbolique, a signé la Proclamation d’émancipation. Ce décret d’une importance capitale est devenu une lueur d’espoir pour des millions d’esclaves noirs marqués au fer rougi à la flamme d’une injustice avilissante. Ce décret fut perçu comme l’aube empreinte de joie annonçant la fin d’une longue nuit de captivité.

Mais, un siècle plus tard, les Noirs ne sont toujours pas libres. Un siècle plus tard, la vie des Noirs est toujours cruellement entravée par la ségrégation et les chaînes de la discrimination. Un siècle plus tard, les Noirs vivent sur un îlot de pauvreté perdu au milieu d’un vaste océan de prospérité matérielle. Un siècle plus tard, les Noirs dépérissent toujours en marge de la société américaine et sont des exilés sur leur propre terre. Si nous sommes ici aujourd’hui, c’est pour dénoncer une condition honteuse.

Nous venons en quelque sorte à la capitale pour encaisser un chèque. Lorsque les architectes de notre république ont écrit les mots magiques de la Constitution et de la Déclaration d’indépendance, ils ont signé un chèque plein de promesses dont chaque Américain est devenu l’héritier. Ce chèque a été la promesse faite à tous les hommes, qu’ils soient noirs ou blancs, de jouir des droits inaliénables de la vie, de la liberté et de la quête du bonheur. Aujourd’hui, tout montre que l’Amérique n’a pas tenu sa promesse, tout au moins en ce qui concerne les citoyens de couleur. Au lieu de faire honneur à son obligation sacrée, l’Amérique a remis au peuple noir un chèque en bois, un chèque qui revient marqué de ces mots : « Sans provision ». Mais nous refusons de croire que la banque de la justice a fait faillite. Nous refusons de croire qu’il n’y a pas les fonds nécessaires dans les grands coffres de l’opportunité de la nation. Et c’est pourquoi nous venons encaisser notre chèque et exigeons le versement des richesses de la liberté et la garantie de la justice.

Nous sommes également venus dans ce lieu sacré pour rappeler à l’Amérique l’urgence absolue du moment présent. L’heure est passée de s’accorder le luxe de calmer les esprits ou de se laisser endormir par la théorie évolutive du gradualisme. Il est temps de s’engager réellement et de créer une démocratie. Il est temps de sortir de la vallée obscure et désertée de la ségrégation et d’emprunter la voie éclairée par les rayons du soleil de la justice raciale. Il est temps pour notre nation d’échapper aux sables mouvants de l’injustice raciale et de s’agripper au solide rocher de la fraternité. Il est temps, maintenant, que la justice devienne une réalité pour chacun des enfants de Dieu.

Il serait fatal pour la nation de passer outre l’urgence du moment présent. Cet été étouffant marqué par le mécontentement légitime des Noirs ne prendra fin qu’avec l’arrivée d’un automne vivifiant qui véhiculera la liberté et l’égalité. L’année 1963 n’est pas une fin, mais un commencement. Celles et ceux qui espèrent que les Noirs se contenteront d’exprimer leur colère auront un dur réveil si la nation revient, comme si de rien n’était, à ses affaires. L’Amérique ne connaîtra ni le repos ni la tranquillité tant que les Noirs ne jouiront pas de leurs droits civiques. Les tumultes de la révolte continueront à ébranler les fondations de notre nation jusqu’au jour où la lumière de la justice brillera enfin.

Mais je tiens à dire quelque chose à mon peuple prêt à franchir le seuil du palais de la justice. En voulant accéder à la place qui nous revient, nous ne devons pas nous rendre coupables d’actes frauduleux. N’étanchons pas notre soif de liberté en buvant à la coupe de l’amertume et de la haine, mais menons notre combat avec dignité et discipline. Ne laissons pas notre revendication créative dégénérer en violence physique. Encore et encore, élevons-nous vers les hauteurs majestueuses en veillant à ce que la force de l’âme l’emporte sur la force physique.

Ce nouveau militantisme merveilleux dans lequel s’engouffre la communauté noire ne doit pas nous conduire à la méfiance envers le peuple blanc, car nombre de nos frères blancs – comme le prouve leur présence aujourd’hui – ont compris que leur destinée est intimement liée à la nôtre. Ils doivent maintenant comprendre que leur liberté est inextricablement liée à la nôtre. Nous ne pouvons pas faire route seuls.

Et alors que nous marchons, nous devons nous engager à toujours aller de l’avant. À ne jamais faire demi-tour. Il y a ceux qui demandent aux partisans des droits civiques : « Quand serez-vous satisfaits ? » Nous ne serons pas satisfaits tant que les Noirs seront les victimes des horreurs indescriptibles dues à la brutalité de la police. Nous ne serons pas satisfaits tant que nos corps, pliant sous le poids de la fatigue du voyage, ne pourront pas se reposer dans les motels au bord des routes ou dans les hôtels en centre-ville. Nous ne serons pas satisfaits tant qu’un Noir du Mississippi n’aura pas le droit de vote et tant qu’un Noir à New York ne verra pas ce pour quoi il peut voter. Non, non. Nous ne sommes pas satisfaits et nous ne serons pas satisfaits tant que la justice n’aura pas gain de cause et que la vertu ne s’imposera pas.

Je n’oublie pas que certains d’entre vous sont venus ici après avoir été jugés et avoir subi moult souffrances. Certains d’entre vous viennent tout juste de quitter une cellule de prison étroite. Certains d’entre vous viennent de lieux où la quête de liberté les a exposés aux tempêtes des persécutions et aux brutalités policières.

Vous êtes les vétérans de la souffrance créative. Continuez à œuvrer avec la conviction que la souffrance non méritée est rédemptrice. Retournez dans le Mississippi. Retournez en Alabama. Retournez en Caroline du Sud. Retournez en Géorgie. Retournez en Louisiane. Retournez dans les bidonvilles et les ghettos des villes du Nord, convaincus que, d’une manière ou d’une autre, cette situation peut changer et changera. Ne nous embourbons pas dans la vallée du désespoir, je vous le dis aujourd’hui, mes amis. Et même si nous sommes confrontés aux difficultés d’aujourd’hui et de demain, je garde en moi un rêve. Et ce rêve est profondément enraciné dans le rêve américain.

J’ai un rêve qu’un jour cette nation se relèvera et verra se réaliser son credo : nous tenons ces vérités comme allant de soi, que tous les hommes naissent égaux en droits.

J’ai un rêve qu’un jour sur les collines rouges de la Géorgie, les fils des premiers esclaves et les fils des premiers maîtres seront capables de s’asseoir côte à côte à la table de la fraternité.

J’ai un rêve qu’un jour même l’État du Mississippi, un État étouffé par la chaleur de l’injustice, étouffé par la chaleur de l’oppression, deviendra une oasis de liberté et de justice.

J’ai un rêve qu’un jour mes quatre jeunes enfants vivront dans une nation où ils ne seront pas jugés pour la couleur de leur peau, mais pour ce qu’ils sont.

J’ai un rêve aujourd’hui !

J’ai un rêve qu’un jour, en Alabama, État connu pour ses racistes haineux, son gouverneur qui n’a sur les lèvres que les mots interposition et invalidation, qu’un jour en Alabama, les petits garçons noirs et les petites filles noires donneront la main à des petits garçons blancs et des petites filles blanches comme s’ils étaient frères et sœurs.

J’ai un rêve aujourd’hui !

J’ai un rêve qu’un jour toutes les vallées seront élevées, toutes les collines et les montagnes seront nivelées, tous les lieux rugueux seront lissés et tous les endroits tortueux seront redressés, et que la gloire du Seigneur sera révélée et que tous les hommes la verront ensemble.

Tel est notre espoir. Telle est la foi que je veux ramener avec moi dans le Sud. Avec cette foi, nous serons capables de tailler dans la montagne du désespoir un bloc d’espoir. Avec cette foi, nous serons capables de transformer les dissensions fracassantes de notre nation en une belle symphonie de fraternité. Avec cette foi, nous serons capables de travailler ensemble, de prier ensemble, de combattre ensemble, d’être emprisonnés ensemble, d’œuvrer ensemble pour la liberté en sachant qu’un jour nous serons libres.

Et quand ce jour arrivera, tous les enfants de Dieu pourront chanter : « Mon pays c’est toi, doux pays de liberté que je chante. Pays où mes pères sont morts, pays dont les pèlerins sont fiers, sur tous les versants des montagnes, que retentisse la liberté ! ». Et si l’Amérique veut être une grande nation, ce jour doit arriver.

Et que la liberté retentisse de tous les sommets des collines prodigieuses du New Hampshire.

Que la liberté retentisse des montagnes toutes-puissantes de New York.

Que la liberté retentisse des hauteurs des Alleghany en Pennsylvanie.

Que la liberté retentisse des sommets enneigés des montagnes Rocheuses du Colorado.

Que la liberté retentisse des pentes douces de Californie.

Mais pas seulement. Que la liberté retentisse de Stone Mountain en Géorgie.

Que la liberté retentisse de Lookout Mountain au Tennessee.

Que la liberté retentisse de toutes les collines et de toutes les montagnes du Mississippi, de tous les versants des montagnes, que la liberté retentisse !

Et quand cela se produira, quand nous laisserons cette liberté retentir, quand cette liberté retentira de tous les villages et de tous les hameaux, de tous les États et de toutes les villes, nous pourrons précipiter la venue de ce jour où tous les enfants de Dieu, les Noirs et les Blancs, les Juifs et les Gentils, les protestants et les catholiques pourront se donner la main et entonner les paroles du vieux negro spiritual « Enfin libres ! Enfin libres ! Merci Dieu Tout-Puissant, nous sommes enfin libres ! ».

(Extrait de Ces grands discours qui ont changé le monde, de Jésus à Obama, présentation de Simon Sebag Montefiore, Paris, Éditions Dunod, 2010)

 

[1] Écrivain et metteur en scène, Alain Foix (né à Pointe-à-Pitre en 1954), docteur en philosophie à la Sorbonne et diplômé d’études supérieures de 3cycle en ethnologie, fut professeur de philosophie et journaliste pigiste avant de devenir directeur de la Scène nationale de la Guadeloupe, du théâtre Le Prisme à Saint-Quentin-en-Yvelines et de La Muse en Circuit, Centre national de création musicale. Il est actuellement directeur artistique et metteur en scène de la compagnie Quai des arts. Il a déjà publié deux ouvrages dans la collection « Folio Biographies » : Toussaint Louverture (2007) et Che Guevara (2015).

[2] Sources : https://fr.wikipedia.org/wiki/Martin_Luther_King

Date de publication
vendredi 4 mai 2018
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