À l’aube du romantisme français

Première en date des poètes du romantisme, une des plus grandes poétesses depuis Louise Labé, Marceline Desbordes-Valmore est un précurseur inattendu des maîtres de la poésie française moderne : Rimbaud et surtout Verlaine.

Marceline Desbordes-Valmore, née le 20 juin 1786 à Douai et morte le 23 juillet 1859 à Paris, est une poétesse française.

Devenue comédienne dès l’âge de 16 ans, elle joue au théâtre à l’italienne de Douai, à Lille, à Rouen (grâce à sa rencontre avec le compositeur liégeois Grétry) et à Paris.

Comédienne, chanteuse et cantatrice, elle se produit non seulement au théâtre de l’Odéon et à l’Opéra-Comique à Paris, mais aussi au Théâtre de la Monnaie à Bruxelles, où elle incarne en 1815 Rosine dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais.

Entre 1808 et 1812, Marceline arrête temporairement le théâtre, durant sa liaison avec Eugène Debonne, issu d’une famille de la bonne société rouennaise. Un fils, Marie-Eugène, naît de leur liaison.

Mais la famille Debonne refusant une union avec une ancienne comédienne, Marceline Desbordes-Valmore quitte définitivement son amant et reprend le chemin du théâtre, à l’Odéon puis à la Monnaie à Bruxelles. C’est là, en 1816, que s’éteint le petit Marie-Eugène, âgé de presque 6 ans.

En 1817, elle se marie avec un acteur, Prosper Lanchantin, dit Valmore, rencontré alors qu’elle jouait à Bruxelles.

Elle aura quatre enfants de lui : Junie (née en 1818) meurt en bas âge ; Hippolyte (1820-1892) qui sera le seul à survivre à sa mère ; Hyacinthe (1821-1853), dite Ondine, compose des poèmes et des contes avant de mourir à l’âge de 31 ans (ce fut vraisemblablement la fille de l’amant de Marceline Debordes-Valmore, Henri de Latouche dont le souvenir passionné hantera toute son œuvre) ; Inès (1825-1846), qui meurt à l’âge de 21 ans.

En 1818, Marceline Desbordes-Valmore publie son premier recueil de poèmes, Élégies et Romances, qui attire l’attention et lui ouvre les pages de différents journaux, comme Le Journal des dames et des modes, L’Observateur des modes et La Muse française. En 1820 paraissent les Poésies de Mme Desbordes-Valmore.

Le couple s’installe ensuite à Lyon. Marceline Desbordes-Valmore continue à voir Henri de Latouche et entretient avec lui une relation épistolaire soutenue.

Après 1823, Marceline Desbordes-Valmore quitte définitivement le théâtre pour se consacrer à l’écriture. Ses ouvrages les plus importants de la poétesse sont les Élégies et poésies nouvelles (1824), Les Pleurs (1833), Pauvres fleurs (1839) et Bouquets et Prières (1843).

Ses œuvres, dont le lyrisme et la hardiesse de versification sont remarqués, lui valent une pension royale sous Louis-Philippe Ier et plusieurs distinctions académiques.

 Elle écrit aussi des nouvelles et compose des Contes pour enfants, en prose et en vers. En 1833, elle publie un roman autobiographique, L’Atelier d’un peintre, dans lequel elle met en évidence la difficulté pour une femme d’être pleinement reconnue comme artiste.

Elle a par ailleurs écrit en picard. En 1896, un imprimeur de Douai rassemble cette œuvre dans un volume appelé Poésies en patois.

Marceline Desbordes-Valmore en 1833, lithographie de Baugé.

Marceline Desbordes-Valmore meurt à Paris, le 23 juillet 1859, après avoir survécu au décès de presque tous ses enfants, de son frère et de maintes amies. Elle fut surnommée « Notre-Dame-Des-Pleurs » en référence aux nombreux drames qui jalonnèrent sa vie.

Son œuvre poétique fut célébrée par ses contemporains Honoré de Balzac, Alexandre Dumas, Alphonse de Lamartine, Paul Verlaine, Charles Baudelaire et Charles-Augustin Sainte-Beuve, puis, plus tard, par Anna de Noailles, Gérard d’Houville, Renée Vivien, Cécile Sauvage, Marie Noël et Louis Aragon [1].

Les Éditions Garnier Flammarion à Paris ont ressorti Les Pleurs avec un extraordinaire appareil de notes rédigées par Esther Pinon [2] qui assure aussi la présentation de l’ouvrage et le complète d’un dossier passionnant traitant de la réception de l’œuvre de Marceline Desbordes-Valmore au XIXsiècle, des voix de femmes en poésie ainsi que de la poésie et la sociabilité romantiques.

Extrait, avec les notes d’Esther Pinon :

SOUS UNE CROIX BELGE [3]

Deux enfants égarés des phalanges divines

Qui, le soir, oublieux de leurs saintes collines.

Dans un vallon du siècle [4] égarant leurs ébats,

Causaient tranquillement des choses d’ici-bas !

AUGUSTE BARBIER [5]

Ni du furtif oiseau la voix mélodieuse

Qui viendra de la tombe humer les tièdes fleurs ;

Ni de ton frère enfant la prière de pleurs ;

Ni, dans l’écho grinçant, la fanfare odieuse

Du despote glacé [6] qui te pousse au tombeau,

Jeune homme ! et de tes jours renverse le flambeau ;

Ni les plombs courtisans qui moissonnent vos têtes,

À vous ! sanglantes fleurs des royales tempêtes ;

Ni les rayons vivants de notre beau soleil,

Ne réveilleront plus ton précoce sommeil !

Et la tonnante voix de leurs canons parjures [7],

Dont chaque bond proclame et signe les injures,

Et ma plainte de femme à ton astre tremblant,

Qui tombe détaché dans l’orage sanglant ;

Et cette voix d’amour en prière épuisée,

Ce sanglot de mère brisée,

Qui dans le champ des morts cherchant son jeune lis,

A crié d’un long cri : « Terre ! rends-moi mon fils ! »

Rien ne t’éveillera ; car ta couche est profonde.

Ah ! sur trop de cyprès [8] la liberté se fonde !

Ah ! mon Dieu ! trop de sang trempe un généreux fer :

Dans vos rêves éteints dormez, belles victimes ;

Laissez-nous l’esclavage, et laissez-leur les crimes ;

Le roi le plus dévot ne croit pas à l’enfer [9] !


PÉTRONE

Les Pleurs par Marceline Desbordes-Valmore, présentation d’Esther Pinon, Paris, Éditions Garnier Flammarion, septembre 2019, 304 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 9 € (Prix France)


[1] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Marceline_Desbordes-Valmore

[2] Elle est agrégée de lettres modernes et docteur en littérature française (2012, université de Nantes).

[3] Ce poème rend hommage aux victimes de la révolution belge de 1830 : plusieurs provinces du sud du royaume des Pays-Bas se soulèvent contre Guillaume Ier, et cette révolte aboutit à la proclamation de l’indépendance de la Belgique. Marceline Desbordes­Valmore, qui avait vécu à Bruxelles, fut particulièrement sensible à ces événements, d’autant plus que la représentation de l’opéra d’Auber La Muette de Portici (histoire d’une révolte), le 25 août 1830, au théâtre de la Monnaie où elle avait été comédienne, fut l’un des signaux du soulèvement.

[4] Le mot « siècle » est ici employé dans son acception religieuse, pour désigner le monde terrestre.

[5] Vers extraits de « La Tentation », poème paru en 1832 dans les Iambes d ‘Auguste Barbier (1805-1882). Ses poèmes inspirés par la révolution de juillet 1830 donnent voix à la ferveur républicaine et ont valu à Barbier une forte notoriété. En décembre 1831, alors qu’il part pour l’Italie avec le poète breton Auguste Brizeux, Barbier rend visite à Marceline Desbordes-Valmore à Lyon. Il compte ensuite parmi ses correspondants.

[6] Guillaume Ier, roi des Pays-Bas.

[7] En dépit d’un cessez-le-feu suivi de la proclamation de l’indépendance de la Belgique le 18 novembre 1830, Guillaume Ier dirige, en août 1831, son armée vers Bruxelles. Anvers est bombardée et les victimes civiles sont nombreuses.

[8] Arbres des cimetières.

[9] Ce dernier vers n’est pas dirigé contre Guillaume Ier, roi protestant qui s’était attiré l’hostilité des catholiques des provinces du Sud par ses tentatives de réduire la mainmise de l’Église sur l’enseignement, et que l’on ne saurait donc qualifier de « dévot ». Marceline Desbordes-Valmore fustige ici de manière universelle l’orgueil et le sentiment d’impunité des puissants.

Date de publication
mardi 10 septembre 2019
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