Chroniques meurtrières…

Licenciée en philologie germanique (anglais, allemand) et diplômée en journalisme de l’Université catholique de Louvain, Anne-Cécile Huwart est reporter freelance depuis 1999.

Elle a travaillé et travaille pour différents médias dont Le Soir, Moustique, Le Vif/L’Express ou encore Médor, sur des investigations au long cours.

Son premier livre, Mourir la nuit (Bruxelles, Éditions Onlit), est le récit glaçant de son reportage en immersion sur deux enquêtes policières menées sous la supervision de la juge d’instruction Marie-Aurore Dagnely par la section Crimes (DR 6) de la police fédérale belge, alias « La Crim’ », concernant deux meurtres commis à Bruxelles dans la nuit du 2 février 2014.

La première est diligentée par la commissaire Natacha Barthel, cheffe de l’Équipe 4, et porte sur l’assassinat de Jephté Vanderhoeven, 56 ans, un assistant social homosexuel dont le corps atrocement mutilé a été retrouvé par sa femme de ménage dans son appartement de la cossue avenue Messidor à Uccle.

La seconde est menée sous la houlette du commissaire Marc Allemeersch, chef de l’Équipe 3, qui recherche le meurtrier de Marek Adamsky[1], 51 ans, un SDF dont le corps a été découvert gisant sur une passerelle à l’entrée d’un parking des abords de la place Rogier.

C’est avec un souci de précision et d’objectivité que l’auteure suit ces affaires depuis leur début jusqu’à leur conclusion devant les assises dirigées par Karin Gérard en 2016 et 2017, dans un exposé aussi passionnant que lucide sur les turpitudes de certains humains.

Anne-Cécile Huwart (photo © Alain Trellu)

Extrait :

« Le Dr Goldberg me dresse le portrait-robot du criminel “vagabond”.

“Il présente souvent une immaturité psychique, explique le psychiatre. Il a besoin d’une forme de tuteur extérieur : un travail, des parents, une femme, des enfants. Sans cela, il se laisse complètement aller, il se liquéfie. Il manque de contention, de carcasse intérieure, de surmoi. Les normes sociales ne sont pas intégrées. Tout doit venir de l’extérieur. Il n’est pas nécessairement effondré lorsqu’il se retrouve en prison, au contraire, ça le rassure d’être enfermé. Moi, je serais terrifié rien qu’à cette idée, lui non. Une personne névrosée, comme la plupart des gens, ravale son passage à l’acte. Elle va chez le psy, fait du sport, écrit un bouquin. J’entends beaucoup de gens me dire en consultation : Si j’avais eu un couteau à portée de main, j’aurais tué ma femme. Je n’appelle pas la police pour cela. Les gens me paient pour dire des horreurs.”

Comment devient-on psychopathe ?

“Les causes sont en partie congénitales et hormonales. Les traits psychopathiques peuvent aussi provenir d’une carence ou d’un traumatisme affectif lié à des faits de violence ou à un abandon. Sans attachement dans la petite enfance, une personne ne peut se construire. Elle sera probablement plus fragile et difficilement socialisable. Elle compense souvent cette fragilité par une forme d’agressivité. Mais il ne s’agit pas d’une fatalité. Certains trouvent par exemple un métier qui leur convient, comme chauffeur routier. Ils mènent une forme d’errance, tout seuls à bord de leur camion pendant des dizaines d’heures.”

La fierté exacerbée est une caractéristique de certains SDF.

“Ils n’acceptent pas toujours les foyers, car ils les considèrent comme humiliants. Ils préfèrent rester dans leur carton plutôt que de suivre une assistante sociale qui va leur apporter des vêtements et leur faire la morale. Ils refusent de rentrer à la niche. Ils sont mieux dans la leur, avec leur chien.

J’ai suivi un gars qui squattait aussi près de Rogier. Il était connu comme cracheur de feu sur la Grand-Place. Une nuit, il dort avec une fille. Elle le touche avec son talon. Il la torture, la viole avec des bouteilles puis la jette par la fenêtre. Elle tombe sur une verrière et meurt. Ce type était très inquiétant – or, pour que je dise cela, il faut beaucoup. Lorsque je lui ai dit : Votre cas est assez sérieux, il m’a répondu : Ah bon ? Pour moi, l’affaire Dutroux, ça, c’est vraiment sérieux. L’affaire Dutroux a fabriqué beaucoup de délinquants. Ils se disent qu’à côté de cela, eux, en fait, ça va.”

Hasard de la vie : ce dossier du cracheur de feu avait été géré par Natacha Barthel. »

PÉTRONE

Mourir la nuit par Anne-Cécile Huwart, Bruxelles, Éditions Onlit, novembre 2019, 252 pp. en noir et blanc au format 12 x 19 cm sous couverture brochée et jaquette en couleurs, 18 €


[1] Pseudonyme.

Date de publication
mercredi 13 novembre 2019
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