Je t’aime, moi non plus…

Agrégé de lettres, professeur au Collège de France, successeur d’Eugène Ionesco à l’Académie française et de Georges Duby à l’Académie des Inscriptions et Belles Lettres, membre correspondant de la British Academy, membre de l’Académie nationale des sciences des États-Unis, de l’Académie américaine des arts et des lettres, de la Société américaine de philosophie de Philadelphie et de l’Académie des Lyncéens[1] à Rome, Marc Fumaroli (°1932) est l’auteur d’une œuvre imposante et protéiforme autour de thèmes variés[2].

Son essai récent intitulé Le poète et l’empereur & autres textes sur Chateaubriand (Paris, Les Belles Lettres) livre dans un premier chapitre ses réflexions sur les rapports, tout à la fois admiratifs et d’opposition, qu’entretint l’écrivain, mémorialiste, homme politique et diplomate français François-René de Chateaubriand (Saint-Malo, 1768 – Paris, 1848) avec Napoléon Bonaparte avant et après son sacre, ainsi que le résume la quatrième de couverture :

« « Après Napoléon, néant : on ne voit venir ni empire, ni religion, ni barbares. La civilisation est montée à son plus haut point, mais civilisation matérielle, inféconde, qui ne peut plus rien produire, car on ne saurait donner la vie que par la morale. On n’arrive à la création des peuples que par les routes du ciel, les chemins de fer nous conduisent seulement avec plus de rapidité à l’abîme. »

Aucun bonapartiste n’a jamais osé écrire cela. Le bonapartisme est un culte rétrospectif de la personnalité. Il n’a d’horizon ni métaphysique, ni poétique. Or, Chateaubriand, poète de Napoléon, est aussi son ennemi métaphysique. Il le restera toujours, même quand il écrit ces phrases trompeusement nostalgiques, dans la Vita Napoleonis en six livres qui a surgi au beau milieu de ses Mémoires entre 1835 et 1840. Seul un poète métaphysicien a été à la hauteur de celui qu’il qualifie, prenant rétrospectivement son parti contre les trahisons de Talleyrand, d' »un des plus grands hommes de l’histoire » ».

Suivent un chapitre consacré à Chateaubriand et Rome – quand Bonaparte le choisit en 1803 pour accompagner le cardinal Fesch à Rome comme premier secrétaire d’ambassade – et un autre intitulé Châteaubriand, Goethe et les frères von Humboldt relatif à l’époque où le Français avait été ambassadeur de Louis XVIII auprès du roi de Prusse.

Magistral !

Bernard PDELCORD

PÉTRONE


[1] Fondée en 1603, c’est la plus ancienne académie scientifique d’Europe.

[2] L’Âge de l’éloquence : rhétorique et « res literaria » de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Droz, 1980 ; Héros et Orateurs, rhétorique et dramaturgie cornélienne, Droz, 1990 ; L’État culturel : une religion moderne, Éditions de Fallois, 1991 ; La Diplomatie de l’esprit : de Montaigne à La Fontaine, Hermann, 1995 ; Chateaubriand et Rousseau, conférence au Collège de France, 1995 ; Le Poète et le Roi, Jean de La Fontaine et son siècle, Éditions de Fallois, 1997 ; Histoire de la rhétorique dans l’Europe moderne : 1450-1950, Presses universitaires de France, 1999 ; L’École du silence. Le sentiment des images au XVIIsiècle, Paris, Flammarion, 1999 ; Quand l’Europe parlait français, Éditions de Fallois, 2001 ; Orgies et fééries, Chroniques du théâtre à Paris autour de 1968, Éditions de Fallois, 2002 ; Chateaubriand : poésie et Terreur, Éditions de Fallois, 2003 ; Maurice Quentin de La Tour et le siècle de Louis XV, Éditions du Quesne, 2005 ; Exercices de lecture : de Rabelais à Paul Valéry, Gallimard, 2006 ; Peinture et pouvoirs aux XVIIe et XVIIIe siècles : de Rome à Paris, Faton, 2007 ; Paris-New York et retour : voyage dans les arts et les images : journal, 2007-2008, Fayard, 2009 ; Discours de réception de Jean Clair à l’Académie française et réponse de Marc Fumaroli, Gallimard, 2009 ; Le Big bang et après ?, avec Alexandre Adler, Blandine Kriegel et Trinh Xuan Thuan, Albin Michel, 2010 ; L’Homme de cour, préface-essai sur l’œuvre de Baltasar Gracián, Gallimard, 2011, Le livre des métaphores : essai sur la mémoire de la langue française, Robert Laffont, 2012 ; Des Modernes aux Anciens, Gallimard, 2012 ; La République des Lettres, Gallimard, 2015 ; Mundus muliebris : Elisabeth Louise Vigée Le Brun, peintre de l’Ancien régime féminin, Éditions de Fallois, 2015 ; Œuvres I-II, préface sur l’œuvre de Jean d’Ormesson, Gallimard, 2015 ; Le comte de Caylus et Edme Bouchardon : deux réformateurs du goût sous Louis XV, Somogy, 2016 ; Madame du Deffand et son monde, préface de l’ouvrage de Benedetta Craveri, Flammarion, 2017 ; Partis pris, Robert Laffont, 2019.

Date de publication
vendredi 14 février 2020
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