« L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre. » (Élisée Reclus)

Docteur ès lettres, Thibault Isabel Roubaix, 1978) dirige la revue L’Inactuelle.

Il a publié à Paris, aux Éditions Autrement, un essai passionnant intitulé Pierre-Joseph Proudhon – L’anarchie sans le désordre, dans lequel il synthétise avec brio l’œuvre considérable et magistrale du philosophe de l’anarchisme, hélas aujourd’hui occultée par l’intelligentsia marxiste qui fit peser son joug sur la pensée du siècle passé.

Pierre-Joseph Proudhon, né le 15 janvier 1809 à Besançon et mort le 19 janvier 1865 à Paris, était un polémiste, journaliste, économiste, philosophe, homme politique et sociologue français.

Précurseur de l’anarchisme, il est le seul théoricien révolutionnaire du XIXsiècle à être issu du milieu ouvrier.

Autodidacte, penseur du socialisme libertaire non étatique, partisan du mutuellisme et du fédéralisme, il est le premier à se réclamer anarchiste en 1840, partisan de l’anarchie entendue en son sens positif : « La liberté est anarchie, parce qu’elle n’admet pas le gouvernement de la volonté, mais seulement l’autorité de la loi, c’est-à-dire de la nécessité ».

Il est l’auteur de plus de soixante livres.

En 1840, dans son premier ouvrage majeur, Qu’est-ce que la propriété ? ou Recherche sur le principe du Droit et du Gouvernement, il rend célèbre la formule : « La propriété, c’est le vol ». Dans ce même ouvrage, il est le premier auteur à utiliser l’expression « socialisme scientifique ».

En 1846, il donne, dans son Système des contradictions économiques ou Philosophie de la misère, une explication de la société fondée sur l’existence de réalités contradictoires. Ainsi, la propriété manifeste l’inégalité, mais est l’objet même de la liberté ; le machinisme accroît la productivité, mais détruit l’artisanat et soumet le salarié. La liberté elle-même est à la fois indispensable, mais cause de l’inégalité.

Le 4 juin 1848, dans une élection complémentaire à l’Assemblée nationale, il devient député de la Seine, en même temps que Louis-Napoléon Bonaparte, Victor Hugo et Pierre Leroux.

Il siégera à l’extrême gauche, mais sans rallier les députés montagnards [1].

La même année, dans Solution du problème social, il élabore la théorie du crédit à taux zéro qui anticipe le fonctionnement des mutuelles d’aujourd’hui. Il imagine la création d’une banque d’échange ou « banque du peuple », dont le but est l’abolition de la monnaie, du salariat, la suppression de toute prise d’intérêt et de toute réalisation de profit dans le cadre des structures d’échange entre les individus.

Le 28 mars 1849, il est condamné à trois ans de prison au pénitencier de Sainte-Pélagie et à 3 000 francs d’amende pour un de ses pamphlets publié dans le journal Le Peuple et qualifié par le tribunal d’incitation à la haine du gouvernement, de provocation à la guerre civile et d’attaque à la Constitution et à la propriété.

La même année, il rédige Les Confessions d’un révolutionnaire pour servir à l’histoire de la Révolution de Février [1848].

En 1851 paraît Idée générale de la Révolution au XIXsiècle, choix d’études sur la pratique révolutionnaire et industrielle.

À sa libération, en 1852, il s’élève contre la concentration des richesses – liée aux concessions des chemins de fer et aux connivences des spéculateurs à la Bourse – entre les mains de quelques-uns [2].

Anticlérical, il publie en 1858 De la justice dans la Révolution et dans l’Église, véritable somme contre l’Église dans lequel il prône l’abolition de toutes les formes de pensée et d’organisation ecclésiales au profit des formes égalitaires et antihiérarchiques.

Condamné à huit ans de prison après la publication de cet ouvrage, il se réfugie à Bruxelles sous le nom de M. Durfort, professeur de mathématiques demeurant à Ixelles.

En 1861, il publie un imposant ouvrage sur La Guerre et la Paix, recherches sur le principe et la constitution du droit des gens, où il justifie le droit de la force comme un droit primordial de l’humanité, considère la guerre comme une conséquence des maux économiques et du paupérisme, et en fait prévoir l’élimination dans la société future fondée sur le travail.

En 1863, dans Du Principe fédératif et de la nécessité de reconstituer le Parti de la Révolution, et en 1865, dans De la Capacité politique des classes ouvrières, il est un des premiers théoriciens du fédéralisme, entendu non pas seulement comme libre association des communes, mais comme point de jonction entre l’industrie et la campagne, l’ouvrier et le paysan.

En 1865, toujours, paraît l’ouvrage posthume Du principe de l’art et de sa destination sociale dans lequel il développe ne lecture très personnelle de l’histoire de l’art des Égyptiens à Courbet, de laquelle il prétend extraire « la théorie la plus complète de l’art »[3].

La même année à Londres, quelques mois avant sa mort, usé par les épreuves et le travail, Proudhon avaient participé indirectement à la naissance de la Première Internationale avec (ou plutôt contre) Karl Marx. Des « proudhoniens » étaient en effet présents, mais pas lui.

Si on laisse de côté certains aspects des conceptions de Proudhon (antiféminisme, misogynie, voire antisémitisme[4]), hélas fréquents chez les socialistes du XIXsiècle, sa pensée demeure d’actualité. Notamment compte tenu du climat de scepticisme face au fonctionnement du système démocratique dans les pays capitalistes avancés. Car il n’est pas certain que les intérêts des classes populaires et travailleuses soient aujourd’hui mieux « représentés » par les partis politiques qu’à l’époque de Proudhon…[5]

Dans son essai parfaitement accessible au lecteur non averti, Thibault Isabel démontre de manière magistrale que, contrairement aux idées reçues, « l’anarchisme proudhonien n’a rien d’une idéologie extrémiste. C’est une idéologie modérée, qui combine les vertus de toutes les autres doctrines. Proudhon défendait l’engagement éthique contre le dogmatisme violent. Il défendait la tolérance contre le nivellement des valeurs. Il défendait l’émerveillement spirituel face au monde contre la transcendance religieuse et l’obsession pour l’autre monde.  Il défendait la liberté du commerce contre la prédation économique. Il défendait la solidarité locale contre le collectivisme fusionnel. Il défendait l’enracinement contre les fanatiques de l’identité. Et ce sont au contraire les communistes, les fascistes et les capitalistes qui, les uns comme les autres, adhèrent à une vision extrémiste de la société ».

Un penseur pour aujourd’hui, en somme…

PÉTRONE

Pierre-Joseph Proudhon – L’anarchie sans le désordre par Thibault Isabel, préface de Michel Onfray, Paris, Éditions Autrement, collection « Universités populaires & Cie », mars 2021, 180 pp. en noir et blanc au format 13,5 x 21 cm sous couverture brochée en couleurs, 19 € (prix France)

TABLE DES MATIÈRES

Préface. Proudhon oui, et vite… Contre le ciel des idées matérialistes

Principales œuvres de Proudhon

Introduction. Les travers de la modernité

Chapitre premier. Vie et mort du père de l’anarchisme

Chapitre II. Contre la prédation capitaliste

Chapitre III. La double aliénation de l’homme moderne

Chapitre IV. Vices et vertus de chaque régime politique

Chapitre V. Le scepticisme idéologique de Proudhon

Chapitre VI. L’équilibre des extrêmes

Chapitre VII. Le fédéralisme intégral

Chapitre VIII. L’individu, la commune et l’État

Chapitre IX. Le protectionnisme

Chapitre X. La théorie de la propriété

Chapitre XI. Les principes philosophiques du mutuellisme

Chapitre XII. Le travail coopératif

Chapitre XIII. De la nécessité d’une morale

Chapitre XIV. Avec ou sans Dieu ?

Chapitre XV. La dialectique du réel

Conclusion. Pour une révolution des esprits


[1] Sous la Deuxième République, les députés républicains héritiers de la Révolution française, par conséquent placés à gauche de l’hémicycle (Armand Barbès, Alexandre-Auguste Ledru-Rollin…), reprirent le nom de Montagne pour désigner leur groupe politique. En effet, les députés de l’Assemblée législative de 1791 les plus à gauche avaient pris le nom de montagnards.

[2] https://www.monde-diplomatique.fr/2009/01/CASTLETON/16666

[3] https://books.openedition.org/inha/5549

[4] À l’instar de celles de Karl Marx…

[5] [5] https://www.monde-diplomatique.fr/2009/01/CASTLETON/16666

Date de publication
samedi 20 mars 2021
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