Correspondance d’un génie…

De l’auteur du fameux Tractatus logico-philosophicus[1] (1921), Ludwig Wittgenstein (1889-1951)[2], les Éditions Flammarion publient la traduction française des Lettres à sa famille qui constituent un témoignage de première main sur les différentes étapes de sa vie si singulière et sur les liens qui l’unissaient à ses proches.

Ludwig Wittgenstein, né d’un père juif converti au protestantisme, était le dernier des huit enfants de l’une des familles de maîtres de forges les plus en vue d’Autriche-Hongrie, à l’avant-garde de la vie culturelle de Vienne : Maurice Ravel composa le célèbre Concerto pour la main gauche (1929-1931, créé à Vienne le 5 janvier 1932 par son dédicataire) pour le pianiste Paul Wittgenstein, frère aîné de Ludwig, qui avait perdu son bras droit au combat pendant la Première Guerre mondiale[3] ; Gustav Klimt a peint le tableau de mariage de sa sœur Margaret ; Gustav Mahler et Johannes Brahms donnaient régulièrement des concerts dans le salon de musique familial.

En 1902, son frère Hans se suicida en Amérique et, en 1904, son frère Rudolf fit de même à Vienne.

En 1906, Ludwig Wittgenstein entama des études d’ingénieur en mécanique à Berlin, qu’il poursuivit en 1908 à l’université de Manchester. C’est dans ce but qu’il s’inscrivit dans un laboratoire d’ingénierie où il fit des recherches sur le comportement des cerfs-volants en haute atmosphère. Il s’intéressa ensuite à la recherche aéronautique et notamment à une hélice mue par réaction au bout des pales qu’il conçut et testa.

Wittgenstein étudia les mathématiques pour ses recherches, et il s’intéressa notamment aux fondements de cette science, après avoir lu Les Principes des mathématiques de Bertrand Russell dont il suivit les cours à Cambridge en 1911.

Il étudia aussi brièvement en Allemagne auprès du logicien Gottlob Frege qui avait posé les fondations de la logique moderne et des mathématiques logiques.

En 1913, Wittgenstein hérita d’une fabuleuse fortune après la mort de son père. Il en fit partiellement don — 100 000 couronnes — à des artistes et auteurs autrichiens tels que Rainer Maria Rilke (1875-1926) et Georg Trakl (1887-1914), et il se retira dans le village norvégien de Skjolden. Cet exil volontaire lui permit de se consacrer entièrement à ses recherches.

Vivant en ermite, Wittgenstein fut surpris par l’avènement de la Première Guerre mondiale et il s’engagea dans l’armée austro-hongroise. Il servit d’abord sur un navire, puis dans une usine d’artillerie.

En 1916, il fut envoyé sur le front russe dans un régiment d’artillerie où il gagna plusieurs médailles pour son courage.

En 1918, il fut fait prisonnier dans le nord de l’Italie par l’armée italienne.

En 1919, après sa libération, il envoya le texte du Tractatus en Angleterre, à Russell qui le considéra comme un travail philosophique d’une grande importance, et ils travaillèrent ensemble pour le faire publier en 1921.

Wittgenstein retourna alors en Autriche et devint instituteur. Il fut façonné aux méthodes du mouvement de réforme scolaire autrichien qui reposaient sur la stimulation de la curiosité naturelle des enfants et le développement de leur autonomie de jugement, plutôt que sur la sollicitation de leur seule mémoire. Ces principes d’éducation l’enthousiasmèrent, mais il dut affronter de nombreuses difficultés à leur mise en pratique dans sa classe des villages de Trattenbach, Puchberg am Schneeberg et Otterthal. Il rédigea le Wörterbuch, un dictionnaire de prononciation et d’orthographe pour faire travailler ses élèves, ouvrage qui fut bien accueilli par la profession. C’est le seul livre qu’il publia de son vivant, en dehors du Tractatus.

Il démissionna en avril 1926 et retourna à Vienne où il travailla comme assistant jardinier dans un monastère.

En 1929, Wittgenstein décida, sur l’insistance de Russell et Moore, de retourner à Cambridge. Il fut accueilli à la gare par une foule composée de quelques-uns des plus grands intellectuels d’Angleterre et il réalisa avec horreur qu’il était l’un des philosophes les plus célèbres au monde.

Cette année-là, après avoir défendu le Tractatus en guise de thèse de doctorat – il n’était jusqu’alors détenteur d’aucun diplôme –, il fut embauché comme assistant (Fellow) et devint membre du Trinity College.

De 1936 à 1937, Wittgenstein vécut à nouveau en Norvège.

En 1939, G. E. Moore démissionna et Wittgenstein, alors considéré comme un génie, obtint la chaire de philosophie de Cambridge et acquit la nationalité britannique dans la foulée.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, Wittgenstein quitta Cambridge et se porta volontaire pour servir dans au Guy’Hospital de Londres en tant qu’assistant au laboratoire (1941), puis dans un hôpital de Newcastle (1944).

Le 5 octobre 1944, il fut nommé professeur à Cambridge.

Il enseigna par intermittence à Cambridge jusqu’en 1949, puis démissionna, avec un soulagement manifeste, pour se concentrer sur l’écriture.

Il passa les deux dernières années de sa vie entre Vienne, Oxford et Cambridge tout en effectuant des voyages aux États-Unis, et en Norvège.

Il mourut à Cambridge des suites d’un cancer le 29 avril 1951[4].

Accompagnées de nombreuses photographies, ses Lettres à sa famille donnent un éclairage original sur la personnalité de ce penseur dépressif hors du commun.

PÉTRONE

Lettres à sa famille – Correspondances croisées 1908-1951 par Ludwig Wittgenstein, traduction de Françoise Stonborough, note liminaire de Radmila Schweitzer, présentation de Brian McGuinness, Paris, Éditions Flammarion, mars 2021, 411 pp. en noir et blanc au format 14,5 x 22 cm sous couverture brochée en couleurs, 26 € (prix France)


[1] Ce texte est considéré comme l’un des livres de philosophie les plus importants du XXe siècle, et a eu une influence majeure sur le positivisme logique et sur la philosophie analytique. La rédaction du Tractatus s’est étendue sur plusieurs années. Certains passages étaient achevés ou presque dès 1914 (Carnets 1914-1916) et le texte fut achevé en 1918, alors que Wittgenstein était encore enrôlé dans l’armée autrichienne où il fut fait prisonnier dans le nord de l’Italie après avoir combattu sur le front russe. Cette œuvre est influencée par les travaux d’Arthur Schopenhauer, Søren Kierkegaard, Gottlob Frege, George Edward Moore et Bertrand Russell.

[2] Ludwig Josef Johann Wittgenstein, né à Vienne en Autriche-Hongrie le 26 avril 1889 et mort à Cambridge au Royaume-Uni le 29 avril 1951, était un philosophe et mathématicien autrichien, puis britannique, qui apporta des contributions décisives en logique, dans la théorie des fondements des mathématiques et en philosophie du langage.

[3] Sergueï Prokofiev, Paul Hindemith, Benjamin Britten et Richard Strauss composèrent également pour lui.

[4] Sources : Wikipédia et Christiane Chauviré, Ludwig Wittgenstein, Éditions du Seuil, collection « Les Contemporains », 1989.

Date de publication
mercredi 28 avril 2021
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