Banals assassins de masse…

Professeur émérite de l’université de Caroline du Nord, Christopher Robert Browning, né le 22 mai 1944, est un historien américain fonctionnaliste[1] spécialiste de la Shoah.

Il est principalement connu pour son ouvrage Des Hommes ordinaires – Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne paru en 2002 aux Éditions Les Belles Lettres à Paris et qui ressort ces jours-ci dans la même maison au format de poche dans la riche collection « Le goût de l’Histoire » dirigée par Jean-Claude Zylberstein.

Dans ce livre, Christopher Browning montre comment un groupe de soldats allemands[2] a été amené à tuer 83 000 Juifs. Pour lui, c’est la société qui, conditionnant les individus dès leur naissance à la soumission devant l’autorité, a fait de ces soldats des tueurs.

Le 13 juillet 1942, les hommes du 101e bataillon de police de réserve allemande sont entrés dans le village polonais de Józefów et ont assassiné 1 500 femmes, enfants et vieillards juifs.

Durant les seize mois de leur mission, ces 500 hommes extermineront 38 000 Juifs d’une balle dans la tête, et en déporter 45 000 autres vers les chambres à gaz de Treblinka.

Or, en raison de leur âge, ces soldats n’avaient pas subi l’endoctrinement des plus jeunes ; ils n’étaient pas davantage des militants nazis, ni même de fervents racistes.

Après avoir fourni le récit détaillé des massacres commis par ce bataillon en livrant les témoignages exhaustifs de 210 de ses anciens membres, Christopher Browning tente de comprendre ce qui a pu pousser ces hommes à commettre ces atrocités.

Selon lui :

– Elles relevaient d’une politique gouvernementale officielle. Les hommes ne faisaient que se soumettre à la loi.

– La soumission à la loi était légitimée par l’endoctrinement. La déshumanisation des Juifs par la propagande depuis 1933 contribuait à la distanciation psychologique, et facilitait la tuerie.

– La bureaucratie et la division des tâches permettaient cette distanciation.

– 80 à 90% des hommes ont tué par conformisme, parce qu’ils ont cédé à la pression du groupe. Refuser de participer aux massacres, c’était commettre une action « asociale », rompre les liens de camaraderie, et donc risquer l’isolement, le rejet du groupe qui constituait le seul lieu de sociabilité pour ces hommes.

– La peur des sanctions a régné, même si le commandant Trapp, chef de l’unité, protégeait ceux qui avaient refusé de participer au massacre de Józefów.

Ce livre cherche à démontrer que « n’importe quel groupe humain peut être transformé en groupe criminel contre l’humanité, pourvu qu’on ait d’abord créé le contexte qui rend possible la déshumanisation de l’ennemi ».

Un essai qui fournit des armes pour décrypter le comportement des tortionnaires qui ont sévi ultérieurement un peu partout, en Amérique latine, au Moyen-Orient, au Vietnam, en Afrique noire, derrière le rideau de fer… et aujourd’hui en Chine contre les Ouighours, ou en Ukraine contre les populations civiles visées par des soldats russes au cerveau bien lavé.

PÉTRONE

Des hommes ordinaires – Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la Solution finale en Pologne par Christopher R. Browning, ouvrage traduit de l’anglais par Élie Barnavi, préface de Pierre Vidal-Naquet, postface de l’auteur traduite par Pierre-Emmanuel Dauzat, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Le goût de l’Histoire » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, septembre 2022 [1994, 2002], 332 pp. + un cahier photo de 8 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 15,50 € (prix France)


[1] Les historiens fonctionnalistes sont les représentants d’un courant historiographique qui s’attache à démontrer que la Solution finale de la question juive a été le résultat de circonstances extérieures à la politique nazie, telles que la guerre sur le front de l’Est en premier lieu.

[2] Le 101e bataillon de réserve de la police allemande (en allemand Reserve-Polizei-Bataillon 101) était une unité de police paramilitaire de l’Ordnungspolizei (Orpo), la police allemande du Troisième Reich, chargée du maintien de l’ordre public, créée à Hambourg en 1936. Constitué en 1939, le 101e bataillon fut déployé pendant la Seconde Guerre mondiale et activement impliqué dans la Shoah. (Sources : Wikipédia.)

Date de publication
vendredi 2 septembre 2022
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