« Gestapette »…

Diplômé de l’École normale supérieure Paris-Saclay, Benjamin Azoulay a consacré son mémoire de recherche en histoire politique à l’écrivain et homme politique Abel Bonnard (1883-1968). Par ailleurs, avec Benoît de Courson, il a développé le logiciel de lexicométrie Gallicagram, un outil novateur de big data historique. Il est aujourd’hui officier de la Marine nationale française et haut fonctionnaire d’État, administrateur des Affaires maritimes.

Il publie chez Perrin un essai biographique magistral, Abel Bonnard – Plume de la Collaboration, dans lequel il décortique la vie et les engagements, sinueux d’abord, tortueux ensuite, de cet ancien combattant de la Grande guerre décoré pour faits d’armes, orateur mondain et coqueluche des salons chics[1] de la Belle Époque, journaliste et écrivain-voyageur un peu snob dont l’entregent lui permit, en 1932, d’être élu à l’Académie française à quarante-huit ans avant de virer sa cuti, de se rapprocher des maurrassiens vers la fin de l’entre-deux-guerres, de rejoindre les ultras du parti pronazi de Jacques Doriot, d’être ministre de l’Éducation nationale du gouvernement de Pierre Laval en 1942, de fuir en 1944 à Siegmaringen avec le dernier carré « vichyste », d’être exfiltré en Espagne et d’y mourir en plein Mai-68 parisien après avoir été radié de l’Académie, jugé deux fois et deux fois condamné.

Durant son passage au gouvernement, Bonnard fut surtout connu du grand public pour la rumeur[2] sur son homosexualité lancée par Jean Paulhan, dont témoignent les sobriquets de « La Belle Bonnard » ou « Gestapette » (ce dernier fut inventé par le chroniqueur Jean Galtier-Boissière, créateur du périodique satirique Le Crapouillot, et repris par Pétain qui détestait Bonnard).

Dans son ouvrage s’appuyant sur de nombreuses sources inédites, Benjamin Azoulay retrace avec précision et, en historien d’envergure, sans parti-pris, le parcours complexe d’une figure fascinante, fascisante et sulfureuse aujourd’hui tombée dans l’oubli.

Un parcours que, pour notre part, nous rapprochons de celui de son pendant belge, l’écrivain-voyageur Pierre Daye (1892-1960), un richissime héritier (son père était l’architecte de Léopold II…), officier d’active ayant combattu sur l’Yser et participé à la victoire de Tabora[3], qui durant l’entre-deux-guerres, fut un écrivain-voyageur à succès publié à Paris et un brillant causeur dans les salons bruxellois[4], qui se rallia aux thèses de Maurras et, progressivement, à la cause de Léon Degrelle dont il rejoignit le parti rexiste durant l’Occupation allemande, époque durant laquelle il publia des articles de politique étrangère philo-nazie dans les colonnes du Nouveau Journal et exerça les fonctions ministérielles de Secrétaire général des Sports avant de fuir à Madrid en 1944 – où il côtoya Abel Bonnard –, puis à Buenos Aires où il mourut.

En 1946, il avait été condamné à mort par contumace et déchu de sa qualité de Belge le 24 décembre 1947.

Ami proche de Robert Brasillach, Pierre Daye comme lui homosexuel et il fut régulièrement moqué pour cela par la Résistance durant la guerre, notamment sur les ondes de la BBC et dans les colonnes du Faux Soir

PÉTRONE

Abel Bonnard – Plume de la Collaboration par Benjamin Azoulay, Paris, Éditions Perrin, collection « Atlas des guerres », janvier 2023, 384 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 25 € (prix France)


[1] Ceux d’Herminie de Rohan, de Thérèse Murat, de sa sœur Charlotte de Ludre-Frolois, les « lundis hebdomadaires de la rue des Vignes » chez René Boylesve

[2] Probablement infondée, selon Benjamin Azoulay…

[3] La bataille de Tabora est un combat qui s’est déroulé du 8 au 19 septembre 1916 à Tabora, capitale administrative de l’Afrique orientale allemande (aujourd’hui en Tanzanie) entre les forces de l’Empire allemand et les forces congolaises de l’Empire colonial belge qui l’emportèrent.

[4] En particulier, celui des époux Didier.

Date de publication
samedi 28 janvier 2023
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