Maîtresse de conférences habilitée à diriger des recherches en histoire à l’École nationale supérieure des sciences de l’information et des bibliothèques (Lyon), Fabienne Henryot a publié Livres, bibliothèques et lecteurs dans les couvents mendiants chez Droz à Genève et À la table des moines – Ascèse et gourmandise des Réformes à la Révolution à la Librairie Vuibert à Paris.
Professeur d’histoire moderne à l’université Lumière Lyon 2 et directeur du Groupement d’Intérêt scientifique (GIS) Religions au CNRS, Philippe Martin est notamment l’auteur, aux Éditions du Cerf, de L’Europe des superstitions (avec Boris Klein) et de Rencontres avec le diable : anthologie d’un personnage obscur (avec Nicolas Diochon).
Ils ont codirigé la publication de Contre les moines – L’antimonachisme des Réformes à la Révolution, un ouvrage collectif rédigé par des spécialistes[1] qui ont compilé et commenté divers extraits littéraires, des archives et des traités canoniques dont il appert que l’antimonachisme est tout à la fois un discours critique, une posture anticléricale et un genre éditorial.
Le riche corpus de 45 textes – datés de 1523 à 1801 – présenté dans l’ouvrage permet de comprendre comment les critiques récurrentes (d’absence de moralité, de gloutonnerie, de sexualité débridée…) associées à des reproches caricaturaux et à des noms célèbres comme ceux de Rabelais, de Calvin ou de Voltaire ont convergé pour s’en prendre à une forme de vie religieuse qui dérangeait pour des raisons non seulement doctrinales, mais aussi économiques, sociales et de concurrence entre clergés séculier et régulier après l’apparition des ordres mendiants actifs au sein de la société urbaine.
Car les prêtres séculiers s’estimaient concurrencés par les moines dès lors que ceux-ci, au XIIIe siècle, ont accédé aux chaires et obtenu des rémunérations pour leurs sermons et pour la desserte d’églises paroissiales, tandis que certains gouvernants ne cachaient pas leur hostilité à ce genre de vie, à son influence politique et à sa capacité d’appropriation de biens considérables.
Dès ses débuts, le monachisme, écrivent les auteurs, « est accusé d’être prétexte au vagabondage, aux ruptures sociales, au parasitisme économique. Chez les femmes, le rejet du mariage et de la vie familiale au profit de la réclusion volontaire paraît un choix difficilement compréhensible ». […] « Au Moyen Âge, l’antimonachisme devient un motif littéraire éculé. […] Dès le XIIe siècle, le Moniage Guillaume dénonce avec virulence le caractère contre nature de la vie monastique, qui rabaisse les exigences naturelles du corps et s’avère alors un contre-modèle de l’héroïsme des personnages célébrés dans le cycle de Guillaume d’Orange. […] Dès le XIIIe siècle, Rutebeuf décrit des moines – souvent franciscains – tour à tour exemplaires ou déviants, acoquinés avec de jeunes filles. […] Au XVe siècle, Jean Molinet, chanoine de Valenciennes, admire le clergé dans son ensemble, la perfection qui est au bout de la démarche contemplative, le savoir théologique qu’il détient, mais se méfie des moines qui cherchent les honneurs. Les mendiants, et parmi eux les dominicains, lui paraissent plus conformes aux idéaux de l’Église, mais ils cèdent parfois aux tentations du diable : religieuses soi-disant possédées, hypocrites arborant une bure usée, mais menant dans leur couvent une vie de luxe et de débauche. Franciscains, carmes et dominicains deviennent de véritables personnages de roman ».
Le genre, bien entendu, se renouvellera et se développera fortement avec la Réforme, puis avec les Lumières et la montée des idées libertines, c’est-à-dire athées comme celles de Denis Diderot, si bien que jusqu’à la Révolution, les moines furent la cible de farces théâtrales, de poèmes satiriques et de traités virulents.
PÉTRONE
Contre les moines – L’antimonachisme des Réformes à la Révolution, ouvrage collectif sous la direction de Fabienne Henryot et Philippe Martin, Paris, Éditions du Cerf, novembre 2023, 439 pp. en noir et blanc au format 14 x 21,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 29 € (prix France)
TABLE DES MATIÈRES
Les auteurs
Introduction
1. Martin Luther. Les vierges peuvent quitter le couvent en accord avec Dieu (1523)
2. Heinrich Plunder et la fin des chartreuses d’Eisenach et de Nuremberg (1523)
3. Le soldat et le chartreux. Érasme et la liberté (1523)
4. Gargantua de Rabelais. Pourquoi l’on fuit les moines (1534-1535)
5. L’acte de dissolution des petits monastères. Angleterre (mars 1536)
6. Les « cafards » dévoreurs des pauvres. Pierre Viret et la dénonciation de la « moinaille » (1545)
7. L’Heptaméron de Marguerite de Navarre et la luxure des cordeliers (1559)
8. Les vocations des enfants, une déviance inqualifiable (1610)
9. Un monastère divisé. Le conflit des observances à Clairvaux (1624)
10. Des prédateurs (1633)
11. Le capucin, un hypocrite ? (1641)
12. Les surenchères d’observance. Autour des sandales, des chaussures et des pieds nus (1662)
13. L’homme de tous les péchés (1675)
14. L’habit ne fait pas le moine, et la barbe non plus (1680)
15. Une visite décevante (1681)
16. La propriété personnelle est-elle possible ? (1682)
17. Une vocation forcée (1683)
18. Une galerie d’horreurs (vers 1700)
19. Mémoire sur le secours des pauvres communautés de religieuses (1730)
20. Contre les religieux étrangers en Alsace (vers 1735)
21. Des religieuses inutiles ? (1750)
22. Histoire critique du Mont-Saint-Michel (1753)
23. La Chalotais contre les moines (1761)
24. La concurrence entre missionnaires. Un fléau pour l’Église (1762)
25. Castille, une affaire Calas dans le monde monastique (1763)
26. Les capucinades, naissance d’un mot (1765)
27. La Commission des réguliers (1766)
28. Les exploiteurs de la société italienne (1766).
29. Les dettes de la Congrégation de Saint-Maur (1767)
30. Une relecture tardive de la querelle des réguliers et des évêques (1767)
31. D’Holbach et la morale (1768)
32. Voltaire contre les franciscains
33. Un moine libidineux (1772-1774)
34. La sexualité au couvent (1777)
35. Les lumières allemandes, les pèlerins et les moines (1778-1784)
36. Diderot et la liberté (vers 1780)
37. Les moines liégeois, opportunistes politiques (1782)
38. Joseph Il et la suppression de la chartreuse de Mauerbach (1782)
39. Monachus non est homo. La Monachologia d’Ignaz von Born
40. Les moines de Clairvaux. Seigneurs cupides et cruels ? (1789)
41. La Révolution française et la suppression des ordres religieux (1789)
42. L’excellent pourvoyeur (vers 1791)
43. Ambrosio, moine hypocrite et débauché (1796)
44. Des moines gloutons et inutiles (1799)
45. Le vœu de pauvreté détourné (1801)
[1] Liste des auteurs : Cédric ANDRIOT, docteur en histoire (Université de Lorraine) ; Matthieu ARNOLD, professeur d’histoire moderne (Faculté de Théologie protestante, Université de Strasbourg) ; Philippe BOURDIN, professeur d’histoire moderne (Université Clermont-Auvergne) ; Gérald CHAIX, professeur émérite d’histoire moderne (Centre d’Études supérieures de la Renaissance, Tours) ; Nicolas DIOCHON, doctorant en histoire (Université Lumière Lyon 2) ; Elizabeth DUCREUX, directrice de recherche émérite (CNRS) ; Christophe DUHAMELLE, directeur d’études (École des Hautes Études en Sciences Sociales) ; Caroline GALLAND, maîtresse de conférences en histoire moderne (Université Paris Nanterre) ; Christian GROSSE, professeur ordinaire en histoire et anthropologie des christianismes modernes (Université de Lausanne) ; Fabienne HENRYOT, maîtresse de conférences HDR en histoire (Enssib) ; Odon HUREL, directeur de recherche (CNRS) ; Édouard KLOS, doctorant en histoire (Université Lumière Lyon 2) ; Jean-Marc LEJUSTE, docteur en histoire (Université Lumière Lyon 2) ; Alain LEMAITRE, professeur d’histoire émérite en histoire moderne (Université de Haute Alsace) ; Julien LÉONARD, maître de conférences en histoire moderne (Université de Lorraine) ; Philippe MARTIN, professeur d’histoire moderne (Université Lumière Lyon 2) ; Olivier SPINA, maître de conférences en histoire moderne (Université Lumière Lyon 2) ; Tristan VIGLIANO, professeur en littérature française de la Renaissance.