Fées carabossées…

Siégeant depuis 2017 dans le fauteuil n° 13 de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique dans lequel elle a succédé à Françoise Mallet-Joris, la poétesse, nouvelliste et romancière bruxelloise Corinne Hoex (°1946), licenciée en histoire de l’art et archéologie de l’Université libre de Bruxelles, est à la tête d’une œuvre marquante.

Pointons-y notamment Le Grand Menu (2001), Ma robe n’est pas froissée (2007), Décidément je t’assassine (2010), Le ravissement des femmes (2012), Celles d’avant (2013), Pas grave (2015), Tango (2016), Nos princes charmants (2023), des textes immensément subtils se mêlant souvent à une dureté implacable et à une ironie tendre, sans trop avoir l’air d’y toucher.

C’est à ce registre qu’appartient son roman Les Reines du bal publié à Paris aux Éditions Grasset, qui narre dans un style aux finesses d’orfèvre les tribulations et les tracas, dans un EHPAD nommé « Les Pâquerettes », d’un groupe de vieilles femmes – Mesdames Prunier, Spinette, Pincemin, Simonart, Coppens, Goujon, Serein, Chapelier et Mademoiselle Lechat –, dont la vie, ceinte de leur armada d’aides-soignantes, infirmiers, médecins, psychologues, kinés, coiffeurs… et préoccupée de leurs dentiers en or ou pas, de leur mobilier d’antan, leurs aliments en bouillie, leur argenterie à astiquer, leurs acariens familiers, leurs animaux de compagnie, leurs déambulateurs branlants, leurs souvenirs lointains et leur sénilité plus ou moins profonde, se résume apparemment à attendre la mort, mais pas seulement.

Car des bribes de vivacité les secouent encore, la jalousie, par exemple, mais aussi le désir érotique, l’ironie, la colère, la hargne, le persiflage, le tout narré en séquences de deux ou trois pages virevoltantes conclues par une flèche du Parthe.

Corinne Hoex [1]

Extrait :

Les escargots

C’est très bien de la part du Docteur Bourillon de vouloir soigner les gens mais, quand on est guéri, qu’est-ce qu’on reçoit à la place ?

Madame Goujon, elle a retrouvé ses esprits. Eh bien, elle est très déçue. Elle me dit « quand j’étais folle, je m’amusais beaucoup mieux. J’avais des escargots qui sortaient de leur coquille pour venir ramper sur moi. Ça me faisait des sensations agréables, ces petites langues baveuses qui laissaient leur salive partout. Maintenant, Madame Prunier, je m’ennuie. Je suis guérie, mais je m’ennuie. Les coquilles sont vides ».

Elle me fait pitié, cette Madame Goujon. Mais guérie, guérie, c’est beaucoup dire. Elle n’a plus ses escargots, d’accord. Mais – entre nous –, maintenant, c’est elle qui bave.

« La vieillesse est un naufrage », assurait Charles de Gaulle.

Corinne Hoex en donne un reportage saisissant !

PÉTRONE

Les Reines du bal par Corinne Hoex, Paris, Éditions Grasset, collection « Le courage » dirigée par Charles Dantzig, mai 2024, 92 pp. en noir et blanc au format 12 x 18,5 cm sous couverture brochée en bichromie, 14 € (prix France)


[1] Photo : https://corinnehoex.com/will-choose-theme/

Date de publication
jeudi 23 mai 2024
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