Guglielmo Ferrero, né le 21 juillet 1871 à Portici, en Italie, et mort le 3 août 1942 au Mont-Pèlerin, en Suisse, était un historien et un essayiste italien, auteur notamment d’ouvrages incontournables et pérennes comme Grandeur et décadence de Rome (6 tomes, 1904-1914), La Ruine de la civilisation antique (1926, rééd. 2020), Les femmes des Césars (1930, rééd. 2024), Nouvelle histoire romaine (1936, rééd. 2019), Bonaparte en Italie 1796-1797 (1936, rééd. 1995 et 2017) ou encore Pouvoir. Les génies invisibles de la cité (1943 et 1945, posthume, rééd. 1988 et 2024).
Réclamé comme conférencier à travers le vaste monde après la publication de Grandeur et décadence de Rome – y compris par le président américain Théodore Roosevelt (1858-1919)–, Guglielmo Ferrero fut élu à l’Académie brésilienne des lettres en 1907.
En 1925, en raison de son rapprochement avec les penseurs libéraux et antifascistes Giovanni Amendola (1882-1926) et Benedetto Croce (1866-1952), le gouvernement fasciste italien plaça Guglielmo Ferrero en résidence surveillée. En 1929, celui-ci devint professeur à l’Institut universitaire de hautes études internationales à Genève. Il resta alors en Suisse où il mourut au Mont-Pèlerin en 1942. Il est inhumé à Genève.
Publié chez Plon & Nourrit en 1940 et réédité chez le regretté Bernard de Fallois en 1996, son essai magistral consacré à Talleyrand au Congrès de Vienne (1814-1815) ressort à nouveau, aux Belles Lettres à Paris, cette fois à l’heureuse initiative du fameux éditeur et directeur de collections français Jean-Claude Zylberstein (°1938).
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, né le 13 février 1754 à Paris où il est mort le 17 mai 1838, était un homme d’Église, un homme d’État et un diplomate français, actif du règne de Louis XVI (1754-1793) à celui de Louis-Philippe (1773-1850), particulièrement pendant les périodes de la Révolution (1789-1799), de l’Empire (1804-1815) et de la Restauration (1815-1830).
Issu d’une famille de haute noblesse et souffrant d’un pied bot, il fut orienté vers une carrière ecclésiastique en vue de prendre la succession de son oncle, archevêque de Reims. Ordonné prêtre en 1779, il devint évêque d’Autun en 1788. Sous la Révolution, il adhéra d’abord à la Constitution civile du clergé[1] (1790), puis renonça à la prêtrise pour mener une vie laïque.
Talleyrand occupa des postes de pouvoir sous la plupart des régimes qui se succédèrent en France : sous l’Ancien Régime, il fut agent général du clergé (1780) ; en 1789, il se fit élire député du clergé aux États généraux, fut un moment président de l’Assemblée nationale constituante en 1790 et est à l’origine de la Constitution civile du clergé ; en 1792-1793, on le trouve ambassadeur de France au Royaume-Uni ; sous le Directoire, il fut ministre des Relations extérieures et le resta sous le Consulat et l’Empire ; en 1814, il fut président du gouvernement provisoire ; sous la Restauration, il fut ambassadeur, ministre des Affaires étrangères et président du Conseil des ministres ; enfin, sous la monarchie de Juillet, il fut ambassadeur.
Il assista aux couronnements de Louis XVI (1754-1793) en 1775, de Napoléon Ier (1769-1821) en 1804 et de Charles X (1757-1836) en 1825.
Sa renommée provient surtout de sa carrière diplomatique exceptionnelle, dont l’apogée fut le congrès de Vienne, une conférence de représentants diplomatiques des grandes puissances européennes qui s’est tenue à Vienne en Autriche du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815.
Le Congrès de Vienne par Jean Godefroy d’après l’œuvre de Jean-Baptiste Isabey.
Les pays vainqueurs de Napoléon Ier ainsi que les autres États européens se sont alors réunis[2] pour rédiger et signer les conditions de la paix, et donc déterminer les frontières et tenter d’établir un nouvel ordre pacifique. Le congrès de Vienne permit également la discussion sur la libre circulation navale, l’abolition de la traite négrière (et non pas de l’esclavage, qui persista) et la mise en avant de la neutralité de la Suisse et de la Savoie.
Homme des Lumières réputé pour sa conversation, libéral convaincu, tant du point de vue politique et institutionnel que social et économique, Talleyrand y théorisa et y chercha à appliquer un « équilibre européen » entre les grandes puissances.
Surnommé le « diable boiteux » et décrit par certains comme un traître cynique plein de vices et de corruption ou au contraire par d’autres comme un dirigeant pragmatique et visionnaire, soucieux d’harmonie et de raison, admiré ou détesté par ses contemporains, Talleyrand suscite encore de nombreuses études historiques et artistiques[3].
Présentation de l’ouvrage de Guglielmo Ferrero :
« Malgré la fragilité politique de la France en 1815, Talleyrand réussit à faire plus qu’éviter l’humiliation de la France dans ce concert des puissances. Alors qu’elle avait été initialement exclue des négociations, Talleyrand parvint à placer la France sur un pied d’égalité avec l’Angleterre, la Russie, la Prusse et l’Autriche en exploitant les tensions entre les grandes puissances et en créant une sorte de coalition avec l’Autriche et l’Angleterre afin de modérer les appétits de la Prusse et de la Russie.
De la sorte, la France devint quasiment l’arbitre des négociations, apparaissant comme le défenseur de l’équilibre européen. L’habileté suprême du « diable boiteux » au Congrès de Vienne dont Ferrero brosse ici un tableau détaillé reste un modèle de diplomatie fondé sur la patience, la connaissance des intérêts en présence et l’art du compromis. »
L’immense documentation de Guglielmo Ferrero et son extraordinaire exploitation tout en vivacité donne au lecteur un exposé vivant, accessible, détaillé et limpide des tenants, des aboutissants et des arcanes d’une entreprise diplomatique aussi majeure que complexe, et du rôle déterminant qu’y tint le formidable négociateur français pour rafler la mise.
Fascinant !
PÉTRONE
Talleyrand au Congrès de Vienne (1814-1815) par Guglielmo Ferrero, introduction de Louis Rougier, Paris, Éditions Les Belles Lettres, collection « Le goût de l’Histoire » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, mai 2025 [1940, 1996], 387 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 19 € (prix France)
[1] La Constitution civile du clergé est un décret adopté le 12 juillet 1790, au début de la Révolution française, par l’Assemblée nationale constituante. Elle mit la main sur l’Église de France, notamment par la nationalisation des biens cléricaux en novembre 1789. Signée contre son gré par Louis XVI le 24 août 1790, elle réorganisa unilatéralement le clergé séculier français, instituant une nouvelle Église, l’Église constitutionnelle. Cette réorganisation fut condamnée par le pape Pie VI (1717-1799) en mars 1791, ce qui provoqua la division du clergé français en clergé constitutionnel (les « jureurs ») et clergé réfractaire, une division à l’origine de la volonté de déchristianisation qui marqua le mouvement sans-culotte à partir de 1791 et inspira les gouvernements républicains à partir de 1792. La Constitution civile du clergé a été abrogée en 1801 par le Premier Consul Napoléon Bonaparte, qui instaura en 1802 la paix avec le pape Pie VII (1742-1823) par le Concordat, qui resta (et reste) en vigueur en Moselle et en Alsace tandis qu’il fut remplacé dans le reste de la France par la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905.
[2] Les 23 participants : 1. Arthur Wellesley, duc de Wellington (Royaume-Uni) 2. Joaquim Lobo da Silveira (Portugal) 3. António de Saldanha da Gama (Portugal) 4. Carl Löwenhielm (Suède) 5. Louis Joseph Alexis de Noailles (France) 6. Klemens Wenzel von Metternich (Autriche) 7. Frédéric-Séraphin de La Tour du Pin Gouvernet (France) 8. Karl Robert von Nesselrode (Russie) 9. Pedro de Sousa Holstein (Portugal) 10. Robert Castlereagh (Royaume-Uni) 11. Emmerich Joseph von Dalberg (France) 12. Johann von Wessenberg (Autriche) 13. Andreï Razoumovski (Russie) 14. Charles Vane (Grande-Bretagne) 15. Pedro Gómez Labrador (Espagne) 16. Richard Trench (Royaume-Uni) 17. Nikolaus von Wacken 18. Friedrich von Gentz (Prusse) 19. Wilhelm von Humboldt (Prusse) 20. William Cathcart (Royaume-Uni) 21. Karl August von Hardenberg (Prusse) 22. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord (France) 23. Gustav Ernst von Stackelberg (Russie).
[3] Sources : Les Belles Lettres et Wikipédia.