« Les civilisations meurent par suicide, non par meurtre. » (Arnold J. Toynbee)

Arnold Joseph Toynbee, né le 14 avril 1889 à Londres et mort le 22 octobre 1975 à York, était un historien britannique célèbre pour sa théorie générale de l’histoire et de la civilisation.

Son analyse monumentale – en douze volumes – de l’essor et de la chute des civilisations, Étude de l’histoire (A Study of History), parue entre 1934 et 1961, constitue une synthèse de l’histoire mondiale, basée sur les rythmes universels de la croissance, de l’épanouissement et du déclin.

Toynbee présente l’histoire comme l’essor et la chute des civilisations plutôt que comme la chronique d’État-nations ou de groupes ethniques, et il identifie les civilisations sur des critères culturels plutôt que nationaux. Ainsi, la « civilisation occidentale », qui comprend toutes les nations qui ont existé en Europe occidentale depuis la chute de l’Empire romain, est traitée comme un tout, distinct à la fois de la civilisation gréco-romaine qui l’a précédé, ainsi que de de la « civilisation orthodoxe » de Russie et des Balkans.

Après avoir délimité les civilisations, Toynbee expose l’histoire de chacune d’elles en termes de défis et de réponses. Selon lui, les civilisations surgissent en réponse à des défis d’une extrême difficulté relevés par des « minorités créatrices » qui apportent des solutions à même de réorienter la société entière.

Ces défis et réponses peuvent être physiques. Ce fut, par exemple, le cas lorsque les Sumériens exploitèrent les marais insalubres du sud de l’Irak en organisant au Néolithique les habitants dans une société capable de mener à bout des projets d’irrigation de grande ampleur. Ils peuvent aussi être sociaux, lorsque par exemple l’église catholique a résolu le chaos de l’Europe post-romaine en enrôlant les nouveaux royaumes germaniques dans une communauté religieuse unique.

Cependant, la minorité dominante ne peut construire l’imposant appareil de l’État universel d’une civilisation sans imposer son autorité et exiger la soumission : son action est donc basée sur la force et la répression.

Dans une civilisation qui a cessé de séduire pour contraindre se forment deux types de prolétariats : un prolétariat intérieur constitué des sujets de la minorité dominante et un prolétariat extérieur constitué des peuples primitifs ou barbares sur lesquels la civilisation exerce un attrait.

Toynbee souligne le rôle essentiel de la religion dans cette séparation des prolétariats : le prolétariat intérieur crée une religion supérieure, ou Église universelle, tandis que le prolétariat extérieur manifeste son nationalisme par l’intermédiaire de religions dérivées ou par l’hérésie.

En fait, face à l’action coercitive de la minorité dominante, l’Église universelle représente l’échappatoire du prolétariat intérieur quand le prolétariat extérieur répond par la violence, et il en résulte un affrontement prolongé opposant l’État universel aux bandes de guerriers barbares[1].

C’est fort opportunément, par les temps qui courent actuellement, que les Éditions Gallimard ressortent Guerre et civilisation dans leur collection « Folio », une compilation réalisée en 1950 par l’éditeur quaker américain Albert Vann Fowler (1904-1968) des passages que Toynbee consacrait au militarisme dans ses écrits parus alors.

Il s’en dégage une loi : « Le militarisme abat une civilisation en provoquant le choc, en conflits meurtriers, des Etats locaux qui la composent ».

La guerre est même « fille de la civilisation », car « lorsque l’accroissement d’efficacité de la société devient tel qu’elle parvient à mobiliser une proportion mortelle de ses ressources et de ses énergies pour un usage militaire, la guerre devient un cancer qui emportera sa victime ».

Toynbee fonde sa démonstration sur plusieurs exemples.

Celui de Sparte, cité-État qui, à l’établissement de comptoirs autour de la Méditerranée, préféra la colonisation de la Messénie voisine, où, pour maintenir sa domination, elle finit par s’enkyster dans un militarisme autarcique qui l’empêcha de s’adapter au régime d’échanges dont elle aurait eu besoin au IVᵉ siècle av. J.-C.

Celui de l’Assyrie militariste, dont le surarmement et l’activisme guerrier provoquèrent la perte par la conquête de territoires trop vastes qu’il fallut gouverner d’une main de fer. Ce régime de terreur fédéra les peuples vaincus dans un vaste front antiassyrien, alors que les guerres avaient fortement réduit sa population tout en accroissant celle des esclaves dont la culture supplanta peu à peu celle des vainqueurs.

Celui du royaume de Charlemagne, exténué par des guerres d’usure en Italie qui le détournèrent de sa tâche essentielle, la poursuite de la grande guerre contre les Saxons.

Celui de Tamerlan dont l’Empire disparut après le gaspillage de ses réserves dans des expéditions sans but en Iran, en Irak, dans l’Inde, en Anatolie et en Syrie au lieu d’avoir imposé la paix aux nomades eurasiens de l’Empire de Gengis Khan.

Toynbee compare au passage les techniques de guerre et l’efficacité des armements offensifs et défensifs, des grands sauriens du Mésozoïque, , de David et de Goliath dans la Bible, des phalanges macédoniennes, des légions romaines, des cataphractes irakiens, des guerriers tartares, de la cavalerie des Goths, de l’armée mamelouk, successivement endormis sur leurs lauriers.

Pour conclure en 1950 que « l’“été de la Saint-Martin” est passé, l’ère des troubles est revenue, et cette affreuse calamité vient frapper une génération qui a été élevée dans la fallacieuse conviction que les temps difficiles de jadis ont à tout jamais disparu ».

Comme en 2025 ?

PÉTRONE

Guerre et civilisation par Arnold J. Toynbee, édition établie par Albert V. Fowler, traduction de l’anglais par Albert Colnat, Paris, Éditions Gallimard, collection « Folio histoire », novembre 2025 [1953], 231 pp. en noir et blanc au format 10,8 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 8,50 € (prix France)

TABLE DES MATIERES

NOTE LIMINAIRE

PRÉFACE DE L’ÉDITEUR

PRÉFACE DE L’AUTEUR

CHAPITRE PREMIER.

Le monde d’aujourd’hui malade de la guerre

CHAPITRE II.

Le militarisme et les vertus militaires

CHAPITRE III.

Sparte, l’État militaire

CHAPITRE IV.

L’Assyrie, l’homme fort armé

CHAPITRE V.

Le fardeau de Ninive. Charlemagne et Tamerlan

CHAPITRE VI.

L’enivrement de la victoire

CHAPITRE VII.

Goliath et David

CHAPITRE VIII.

Le prix du progrès dans la technique militaire

CHAPITRE IX.

L’échec du sauveur à l’épée


[1] Voir notamment Arnold Toynbee — Wikipédia

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Date de publication
vendredi 5 décembre 2025
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