Née le 6 mars 1854 aux Batignolles-Monceau d’un père français et d’une mère aux origines irlandaises, Jeanne Loiseau, qui décéda le 3 janvier1921, était une femme de lettres connue sous le nom de plume de Daniel Lesueur.
Contrainte de gagner sa vie dès 1871, elle décrocha ses diplômes d’institutrice et s’en fut comme jeune fille au pair à Londres jusqu’en 1875. Rentrée au pays, elle dispensa des cours particuliers à de jeunes Parisiennes aisées avant de devenir la lectrice d’un académicien français, ce qui lui fournit l’occasion de fréquenter quelques gloires littéraires comme Charles Leconte de Lisle (1818-1894), Sully Prudhomme (1839-1907) et François Coppée (1842-1908), mais aussi Marguerite Durand (1864-1936, fondatrice du journal La Fronde), et Séverine (1855-1929), deux des plus célèbres féministes de son époque.
Séparée en 1881 d’un jeune avocat avec qui elle a eu un enfant, ce qui lui conférait le statut infâmant de « fille-mère », Jeanne Loiseau publia ses premiers écrits l’année suivante, et prit le pseudonyme littéraire de Daniel Lesueur sous lequel elle connut un succès constant.
L’œuvre de Daniel Lesueur est imposante et variée : poésies, pièces de théâtre, romans à thèse, contes et nouvelles, traductions en français d’auteurs anglo-saxons, conférences, contributions et critiques littéraires dans L’Indépendance belge, Le Temps, Le Gaulois et Le Figaro, articles dans La Fronde (1897-1903), dans le magazine Femina (1910-1912) et dans La Renaissance politique, littéraire et artistique (1913-1920).
Si la thématique de ses récits est assez ordinaire (maris trompés, jeunes filles séduites, femmes abandonnées), le traitement est original, avec ses héros déterminés et pleins de vitalité, et aussi (et surtout) une très bonne technique du mélodrame : suspense au cordeau, construction habile, coups de théâtre bien amenés, et souvent (mais pas toujours) happy end.
Vice-présidente de la Société des Gens de Lettres (1908-1909, 1909-1910 et 1913-1914), distinguée par la Légion d’Honneur en 1900, suivie du titre d’officier en 1913, puis par la médaille d’honneur de la Société des Gens de Lettres en 1919 et par la Médaille de la Reconnaissance française (1920), elle fut aussi fondatrice et administratrice d’œuvres philanthropiques au service des réfugiés français et belges des zones envahies par l’ennemi pendant la Première Guerre mondiale, ainsi que du « Denier des veuves de la SGDL » (1913-1921) et de l’« Aide aux Femmes de Combattants » (1914-1919)[1].
C’est en 1908 que parut son roman le plus célèbre, Nietzschéenne, que rééditent aujourd’hui les Éditions Honoré Champion à Ferney-Voltaire.
L’autrice y raconte le destin tragique de Jocelyne Monestier, une riche héritière parisienne éclaboussée depuis plusieurs années par le scandale parce qu’elle s’était donnée à son fiancé avant de se voir compromise – faussement – par un maître-chanteur. Le fiancé ayant retiré sa promesse, le frère de Jocelyne l’avait tué en duel et les parents de la jeune femme étaient morts de chagrin.
Pour tenir bon face aux préjugés dont elle est encore victime et pour dominer son amour naissant pour Robert Clérieux, un jeune industriel de l’automobile, marié et père de famille en butte à des actions de grève dans son usine, Jocelyne Monestier s’appuie sur la pensée du philosophe allemand Friedrich Nietzsche (1844-1900) qui lui a appris « à tenir bon » et « à se surmonter et s’élever jusqu’aux plus hautes valeurs » par « son intrépidité et son défi au malheur ».
Les idées nietzschéennes, et plus particulièrement sa notion de « volonté de puissance », étaient en vogue chez les féministes françaises de la Belle Epoque, mais bien souvent mal comprises par le public qui n’y voyait que l’expression d’un militarisme prussien déguisé et/ou d’un paganisme férocement individualiste et prônant le chaos.
C’est à rectifier le tir que s’emploie subtilement l’autrice, dans son passionnant roman à rebondissements qui accaparent le lecteur…
PÉTRONE
Nietzschéenne par Emile Lesueur, édition établie, préfacée et annotée par Nelly Sanchez, Paris, Éditions Honoré Champion, collection « Champion classiques/Littératures », octobre 2025, 308 pp. en noir et blanc au format 12,5 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 20 € (prix France)
[1] Sources : préface de Nelly Sanchez, Wikipédia et Bibliothèque nationale de France : https://gallica.bnf.fr/accueil/fr/html/daniel-lesueur-alias-jeanne-loiseau-1854-1921