Fils de Philippe Koechlin (1938-1996), le fondateur du magazine Rock and Folk, Stéphane Koechlin (°1962) est un romancier, essayiste, biographe, chroniqueur musical et journaliste français (Géo, Marianne, Valeurs actuelles).
Détenteur d’une maîtrise de lettres (Paris IV Sorbonne, 1988) et membre des commissions « Jazz & Blues » et « Blues & Soul » de l’Académie Charles Cros, il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages[1] pour lesquels il a remporté plusieurs prix.
À l’occasion du 120e anniversaire de la naissance de l’auteur du Zéro et l’Infini, il publie aux Éditions du Cerf à Paris un essai biographique d’envergure intitulé Arthur Koestler – La fin des illusions, un page-turner passionnant qui se lit comme un roman d’aventures.
Rappelons qu’Arthur Koestler, né Artúr Kösztler à Budapest dans une famille juive le 5 septembre 1905 et mort le 1er mars 1983 à Londres, était un romancier, journaliste et essayiste hongrois, naturalisé britannique.
Entre 1922 et 1926, il étudia l’ingénierie à l’École polytechnique de Vienne ainsi que la philosophie et la littérature au sein de l’université de la même ville, où il se familiarisa avec le judaïsme et adhéra à la cause sioniste qui voulait créer en Palestine un État juif moderne et démocratique.
Parallèlement à ses études, il étudia la psychanalyse, lisant Freud aussi bien que les écoles dissidentes, Jung, Adler, Stekel.
Le 1er avril 1926, il abandonna ses études et partit en Palestine comme simple ouvrier agricole dans une kvutsa[2], une expérience très brève, car il n’avait aucun goût pour l’agriculture. Il gagna alors Haïfa où, avec le juriste Abram Wienshall (893-1968), il créa Zafon, un hebdomadaire en hébreu, ainsi que Sehutenu (« Notre droit »), une ligue des droits civiques fournissant une assistance judiciaire aux Juifs.
En septembre 1930, nommé correspondant à Paris puis à Berlin en qualité de journaliste scientifique, il fut le seul journaliste à bord du dirigeable allemand Graf Zeppelin lors de son expédition polaire en juillet 1931.
La même année, il adhéra secrètement au Parti communiste allemand et devint un agent du Komintern. Il fit plusieurs séjours en Union soviétique dans les années qui suivirent.
En automne 1933, à l’arrivée d’Adolf Hitler au pouvoir, il s’installa à Paris.
Correspondant d’un journal anglais durant la guerre civile espagnole (1936-1939), il fut emprisonné et condamné à mort par les franquistes, mais échangé quelque temps plus tard contre la femme d’un pilote franquiste, retenue par les républicains. De cet épisode naîtra le livre à succès Un testament espagnol (1937), d’abord publié en anglais, puis traduit en plusieurs langues.
À la suite de cette expérience et en raison des « procès de Moscou » (août 1936 – mars 1938) et de son opposition au stalinisme, il quitta le Parti communiste en 1938 après l’exécution de Boukharine[3].
Durant la « Drôle de guerre », Arthur Koestler couvrit la situation en France et, sous le gouvernement Daladier, il fut arrêté par la police française avec d’autres réfugiés, détenu au stade de Roland-Garros, puis interné au camp du Vernet en tant qu’« étranger indésirable ».
À la suite de pressions britanniques, il fut libéré. Pour échapper à une nouvelle arrestation, il s’engagea durant l’exode dans la Légion étrangère sous un faux nom, puis déserta pour rejoindre Londres. Son livre autobiographique La Lie de la terre, entièrement consacré à cette période française, tire son nom des communiqués officiels rapportés par les journaux, qui qualifiaient les étrangers arrêtés préventivement de « véritable lie de la terre ».
En 1940, il a publié Darkness at Noon, traduit en 1945 sous le titre Le Zéro et l’Infini. Ce texte, inspiré des « procès de Moscou » dont il avait été témoin et qui préfigurait de presque trente ans le récit L’Aveu d’Arthur London[4] décrit l’emprisonnement, le procès stalinien et l’exécution d’un haut responsable soviétique.
Cette dénonciation du stalinisme lui valut alors nombre d’inimitiés parmi les intellectuels français de gauche (Tristan Tzara, Maurice Merleau-Ponty, Elsa Triolet, Gaëtan Picon, Frédéric Joliot-Curie, Roger Garaudy, Jean Kanapa… et, bien entendu, la clique journalistique de L’Humanité, l’organe du Parti Communiste français).
Dans cet ouvrage, Koestler voulait dénoncer tous les totalitarismes et, au-delà, « les systèmes clos », qu’il considérait comme des perversions dangereuses. Il englobait sous cette appellation le nazisme, le totalitarisme stalinien, la pensée psychanalytique, voire certaines conceptions de la science.
Ayant demandé à rejoindre l’armée britannique, il servit pendant un an dans le Royal Pioneer Corps avant d’être affecté en mars 1942 à la conception d’émissions et de films de propagande au ministère de l’Information britannique.
Après la guerre, Koestler, qui avait conquis une notoriété internationale, fut enthousiasmé par la création de l’État d’Israël, qu’il a décrite dans Analyse d’un Miracle.
Au début de la guerre froide, il servit la propagande anticommuniste menée par les services de renseignements britanniques. Il fut l’un des plus importants conseillers de l’Information Research Department lors de sa mise en place en 1948 et il milita au sein du Congrès pour la liberté de la culture, une association financée par la CIA dans sa politique de guerre froide culturelle.
Dans ce contexte, Arthur Koestler reçut en 1972 les insignes d’officier de l’ordre de l’Empire britannique.
Tournant le dos aux romans, il s’intéressa alors à la science et il consacra plus de 25 ans à comprendre les sources de la grandeur et de la médiocrité humaine. Il publia un triptyque sur ce thème, Les Somnambules (1959), Le Cri d’Archimède (1964) et Le Cheval dans la locomotive (1967), synthétisé en 1978 par l’essai Janus.
En 1976, se penchant sur les origines des Juifs de l’Europe de l’Est, il écrivit La Treizième Tribu, premier ouvrage qui contestait la thèse d’un peuple juif issu exclusivement ou majoritairement de l’exode des Juifs de Palestine après la première guerre judéo-romaine (entre 66 ap. J.-C. et 73 ap. J.-C.) et qui avançait l’idée de la conversion massive par des prédicateurs juifs d’une population autochtone d’Europe de l’Est, le royaume khazar.
Intéressé par la parapsychologie depuis les années 1950, Arthur Koestler adhéra à la Society for Psychical Research. Cette préoccupation se reflète dans ses ouvrages L’Étreinte du crapaud (1971), Les Racines du hasard (1972) et dans le roman Les Call-girls (1972).
En 1979, il participa au comité de patronage de Nouvelle École,[5] revue liée à la Nouvelle Droite[6].
Atteint de la maladie de Parkinson et de leucémie, il mit fin à ses jours par absorption de médicaments en 1983, avec sa troisième épouse Cynthia. Il avait 77 ans, elle 55, et il défendait depuis longtemps l’euthanasie volontaire.
Au billet laissé par son mari avant leur mort, Cynthia ajouta : « J’aurais aimé terminer le récit de ma collaboration avec Arthur, une histoire qui a débuté quand nos chemins se sont croisés en 1949, mais malgré des ressources intérieures certaines, je ne peux pas vivre sans lui »[7].
Dans son ouvrage, qu’il met en regard de la situation internationale actuelle. Stéphane Koechlin appuie sur le fait que, depuis le 7 octobre 2023, s’est réveillé l’antisémitisme qu’Arthur Koestler, ce Juif errant d’Europe centrale, a combattu toute sa vie.
Et son biographe constate que, depuis que Vladimir Poutine a envahi l’Ukraine, le spectre soviétique hante à nouveau la planète. C’est pourquoi Stéphane Koechlin estime qu’aujourd’hui, plus que jamais, la vie d’Arthur Koestler, avec ses forces (la lucidité, le courage, le talent…) et ses faiblesses (l’alcool, ses rapports de séduction avec les femmes, son côté hâbleur…) doit être racontée, et sa sagesse apprise, qui fut acquise dans les chaos, les malheurs et les guerres.
Parce qu’il avait tout vu. Parce qu’il avait tout dit.
PÉTRONE
Arthur Koestler – La fin des illusions par Stéphane Koechlin, Paris, Éditions du Cerf, août 2025, 388 pp. en noir et blanc au format 15,5 x 24 cm sous couverture brochée en couleurs, 25 € (prix France)
Publications d’Arthur Koestler
Romans :
Au chat qui louche, 1932
Les Tribulations du camarade Lepiaf, 1934
Spartacus, 1939
Croisade sans croix, 1943
Le Zéro et l’Infini, 1945
La Tour d’Ezra, 1946
Les hommes ont soif, 1951
Les Call girls, 1972
Théâtre :
Le Bar du crépuscule, une bouffonnerie mélancolique en quatre actes, 1945
Essais :
Le Yogi et Le Commissaire, 1946
Réflexions sur la peine capitale, 1955
Les Somnambules : essai sur l’histoire des conceptions de l’Univers, 1959
Le Cri d’Archimède : l’art de la découverte et la découverte de l’art, 1964
Le Cheval dans la locomotive, 1967
L’Étreinte du crapaud, 1971
Les Racines du hasard, 1972
“Anecdotal case” et “Speculations on problems beyond our present understanding”, in Alister Hardy, Robert Harvie, Arthur Koestler, The Challenge of Chance: A Mass Experiment in Telepathy and Its Unexpected Outcome, 1973
La Treizième Tribu : L’Empire khazar et son héritage, 1976
Janus, 1978
La Quête de l’Absolu, 1981
La Pulsion vers l’autodestruction, 2006, posthume
Analyse d’un miracle, 1998, posthume
Il a également publié de nombreux articles dans l’Encyclopædia Britannica.
Autobiographies :
Un testament espagnol, 1937
La Lie de la terre, 1941
Le Dieu des ténèbres, 1950
La Corde raide, 1952
Hiéroglyphes, 1954
Arthur Koestler et Cynthia Koestler, L’Étranger du square, 1983
[1] parmi lesquels Le blues, fleur africaine (1996), Le rock, musique révolutionnaire (1996), Le Blues – Portraits au hasard des routes (2000), John Lee Hooker (2001), Brian Jones, l’âme sacrifiée des Rolling Stones (2001), Contes du Mississipi (2002), Bob Dylan – Épitaphes 11 (2004), Contes des Années folles (2004), Juré (005), Jazz ladies – Le roman d’un combat (2006), James Brown (2007), Le Jazz pour les Nuls (2008), Michael Jackson – La chute de l’ange (2009), La Légende du baron rouge (2009), Blues pour Jimi Hendrix (2010), Gad Elmaleh – La vie pas normale, Le vent pleure Marie (2012), Formidable Stromae (2014), Le Blues – Les musiciens du diable (2014), Dernier vol pour l’enfer – Les cinq vies d’Ernst Udet (2016), Bessie Smith, des routes du Sud à la Vallée heureuse (2018), La mort n’était pas rendez-vous (2018), Jean-Pierre Marielle – le Lyrique et le baroque (2019), Le Dernier été de Grace Slick (2019), Histoire secrète de la conquête spatiale (2021), ou encore Jean-Pierre Marielle, le livre qui montre la voix (2023).
[2] Une communauté plus petite qu’un kibboutz.
[3] Nikolaï Ivanovitch Boukharine, né le 27 septembre 1888 à Moscou, et exécuté le 15 mars 1938 dans la même ville, était un intellectuel, révolutionnaire et un homme politique soviétique. Il fut membre du Bureau politique (1919-1929) et du Comité central du Parti bolchevik (1917-1937). Membre et secrétaire du Comité exécutif de l’Internationale communiste dès sa fondation en 1919, il exerça les fonctions de chef de l’Internationale communiste (1926-1928), rédacteur en chef de la Pravda (1918-1929), de la revue Bolchevik (1924-1929) et même, pendant quelques mois, du journal pour enfants Pionerskaïa Pravda (1925). Après sa mise à l’écart de la direction du Parti (1929), il dut se limiter à des recherches scientifiques (il avait été élu à l’Académie des sciences de l’URSS en janvier 1929) et attendre cinq ans pour retrouver un poste de rédacteur en chef du journal du gouvernement, les Izvestia (1934-1936). Inculpé lors du troisième « procès de Moscou » en 1938, il fut contraint d’« avouer ses crimes » avant d’être liquidé.
[4] Artur London, né le 1er février 1915 à Mährisch-Ostrau (Autriche-Hongrie, aujourd’hui Ostrava, en Tchéquie) et mort le 8 novembre 1986 à Paris, était un homme politique communiste tchécoslovaque, notamment connu pour sa condamnation lors des procès de Prague en 1952 et pour la publication de son ouvrage L’Aveu en 1968 adapté au cinéma par Costa-Gavras en 1970.
[5] Nouvelle École est une revue d’idées française fondée en 1968 et dirigée par Alain de Benoist (°1943) et Michel d’Urance.
[6] La Nouvelle Droite est un courant de pensée politique d’extrême droite de tendance nationale-européenne apparu en 1969 avec la fondation du Groupement de recherche et d’études pour la civilisation européenne (GRECE), dont l’essayiste Alain de Benoist est le principal représentant.
[7] Sources consultées : Wikipédia et Éditions Calmann-Lévy.