Père de l’acteur belge Bernard Yerlès (°1961), Pierre Yerlès (°1937) est un professeur émérite de l’Université catholique de Louvain où, pendant quatre décennies, il forma à la didactique de la langue et de la littérature françaises des générations d’agrégés en philologie romane. Il a aussi dirigé la collection « Séquences » chez Didier Hatier et il a été membre du comité de rédaction de plusieurs publications, parmi lesquelles la Revue nouvelle et Langue et Administration.
Ce magister érudit est aussi un poète inspiré par la finitude des êtres et par la fin des choses. Il en donne une preuve aussi élégante que poignante dans son recueil paru chez Bleu d’encre à Yvoir, Pavane pour une samouraï défunte, évoquant l’euthanasie voulue par la tant aimée – mais aussi adversaire déterminée dans leur liaison aussi fusionnelle que contrecarrée – qui fut sa compagne et son épouse durant près de trente-trois ans.
Le titre de son ouvrage fait référence à la Pavane pour une infante défunte (1899), une célébrissime pièce pianistique que Maurice Ravel a dédiée à la mécène Winnaretta Singer (1865-1943), princesse de Polignac, une des héritières des machines à coudre Singer.
Rappelons que la pavane, décrite par le chanoine et compositeur français Thoinot Arbeau (1520-1595) dans son Orchésographie (1589), est une danse de cour lente du XVIe siècle, exécutée par des couples disposés en cortège.
Et que la Pavane (1887) composée par Gabriel Fauré (1845-1924) est l’une de ses pièces les plus appréciées en raison de son extrême délicatesse.
Quant aux vingt-cinq poèmes de Pierre Yerlès qui composent son recueil, tantôt élégiaques, tantôt tout en ire, ils creusent le tombeau et gravent la pierre d’une histoire d’amour, de remords, de fureur et de mort.
Extraits :
Au début nous marchions ensemble
du même pas
bras dessus bras dessous
ce n’était pas à la japonaise
la marche namba des samouraï
mais néanmoins elle était altière
elle qui nous mena
au fil des ans
depuis les sentes forestières
entourant notre chaumière
les plages familières
où nous luttions contre le vent
les rues des cités d’Europe
les chemins de Compostelle
jusqu’au bout du Finisterre
sous les eucalyptus géants
elle nous vit arpenter
les routes du thé
les montagnes
de l’immense Chine
Je reconnais avoir été
le premier
je ne sais plus quand
à trahir notre connivence
je n’arrivais pas
à brider
mon impatience de cheval fou
j’en étais arrivé
à te précéder
souvent
de quelques mètres
que tu ne prétendis plus jamais combler
ton inflexibilité
et mon inconscience
ont creusé le fossé
où sombra
pour l’éternité
notre marche ensemble (…)
Le silence
entre nous
eût pu être
respiration jumelle
plongée solidaire paisible
dans la rumeur du monde
écoute enchantée
à deux
reliés par un stéthoscope invisible
au cœur battant de l’univers
mutuelle échappée
ravie
vers les terres inconnues
au fond de nous enfouies
il devint duel bushido
plus meurtrier
que les mots
sans plus même répondre
au code de l’honneur
depuis nos lèvres closes
l’incendie d’exaspération
exécration détestation
gagnait nos yeux hallucinés
métamorphosés
en lance-flammes
comme il advient
aux combattants
dans les dessins
manga (…)
Je t’écris
à corps perdu
et à tue-tête
m’entends-tu ou me cries-tu
assez assez assez
toi l’intransigeante
la guerrière
l’avide d’une vérité
plus impitoyable
plus tranchante
que celles des fanatiques
je t’écris au grand risque
sinon dans la certitude
que jamais tu ne m’entendes
Tu ne peux désormais
plus m’interdire
de dire
que pour mon bien et ma jouissance
ma plus grande souffrance
aussi
tu fus
des années durant
dans le malentendu
si courant
de deux existences
aux vérités dissemblables
parfois même inconciliables
le grand amour de ma vie
mon plus grand fantasme
Eût-il mieux valu
je le pense parfois
rarement
que nous ne nous soyons pas rencontrés
pour la plus grande joie du Diable
et de ses démons
nous ayant mis au cœur
le venin de ces peurs
de ces colères
PÉTRONE
Pavane pour une samouraï défunte par Pierre Yerlès, préface de Myriam Watthée- Delmotte, Yvoir, Éditions Bleu d’encre, mars 2025, 72 pp. en noir et blanc au format 12 x 20 cm sous couverture brochée monochrome, 15 68