Docteure en histoire moderne après avoir soutenu, à l’Institut Universitaire Européen de Florence (Italie), une thèse intitulée « La fabrique d’une posture européenne inédite : publier Christine de Suède au XVIIe siècle, entre cohérence et incertitudes », Marion Lemaignan publie à Paris aux Éditions Perrin Christine de Suède – Souveraine européenne, une biographie novatrice de la femme très savante et de fort caractère qui fut proclamée « roi de Suède » en 1632 (elle avait alors 6 ans), qui régna à 18 ans en 1644, fut couronnée en 1650 et abdiqua en 1654, 35 ans avant son décès en 1689.
Gustave Adolphe, qui avait perdu deux enfants en bas âge, avait réglé l’ordre de sa succession avant d’entrer en campagne. Il avait obtenu des nobles la suppression de la dévolution exclusivement masculine dès 1627. Christine monta donc sur le trône sans opposition, sous la tutelle du chancelier Axel Oxenstierna (1583-1654), le « Richelieu » suédois. Elle reçut un enseignement sévère, et aux études traditionnelles des langues et de l’histoire s’ajouta la pratique des arts (notamment le dessin et la peinture) et du sport (l’escrime et l’équitation).
Élevée comme un garçon, Christine de Suède (1626-1689) était la fille unique d’un champion du protestantisme, Gustave II Adolphe, dit « le Grand » ou « le Lion du Nord », roi de Suède né le 9 décembre 1594 à Stockholm et mort lors de la bataille de Lützen le 6 novembre 1632[1].
Majeure en 1644, la reine Christine mit fin aux conflits armés avec le Danemark en 1645 par le traité de Brömsebro, tandis que la paix de Westphalie, signée en 1648, fit de la Suède la première puissance nordique.
Férue d’art et de lettres (la qualité de sa bibliothèque personnelle était vantée), elle donna à sa cour un grand rayonnement culturel, en y faisant venir des œuvres de sculpture et de peinture, surtout italiennes, en soutenant une école de peintres hollandais – les Fijnschilders –, et en invitant à Stockholm des érudits français comme le philosophe René Descartes qui y mourra en février 1650 ou comme la musicienne Anne Chabanceau de La Barre[2] en 1652.
Peu encline aux liens matrimoniaux et insensible aux convenances – elle ne se maria jamais et n’eut pas d’enfant, s’habillait en homme et fumait la pipe –, elle abandonna le trône en 1654 après avoir obtenu de la Diète la désignation de son cousin Charles-Gustave (1622-1660) d’abord comme successeur.
Commença alors une vie de voyages, semée d’étapes à Hambourg, à Anvers, à Bruxelles où elle se convertit secrètement au catholicisme, à Innsbruck où elle abjura publiquement le protestantisme avant de gagner à Rome où elle fut accueillie avec faste le 20 décembre 1655 pour recevoir sa première communion du pape Alexandre VII (1599-1667).
Après diverses tribulations politiques consécutives du décès de son cousin le roi Charles X Adolphe en 1660 et des vaines tentatives de l’ex-reine Christine pour remonter sur le trône de Suède ou accéder à celui de Pologne, elle s’établit définitivement à Rome en 1668.
Devenue mécène, elle demeura dans le Trastevere au Riario alla Lungara (l’actuel palais Corsini) qu’elle transforma en musée. Elle y exposa quantité de pièces (tapisseries, peintures, sculptures, dessins, objets divers de collection), son cabinet des médailles était particulièrement renommé et sa bibliothèque riche de 5 000 volumes.
Elle fut l’amie des artistes comme le célèbre Bernin (1598-1680), sculpteur et peintre dont elle fit écrire la biographie à ses frais, et elle appréciait les musiciens baroques comme Filippo Acciaiuoli (1637-1700) qui lui dédia ses drames musicaux et Alessandro Stradella (1643-1682), ses cantates, ainsi qu’Alessandro Scarlatti (1660-1725) dont elle soutint les débuts, et Arcangelo Corelli (1653-1713) qui l’initia au violon.
Elle obtint par ailleurs l’autorisation du pape d’ouvrir le premier théâtre public romain, le Tor di Nona et, en 1674, elle créa l’académie du Riario, qui deviendra l’Académie d’Arcadie, société de lettrés et d’artistes. Elle s’intéressa aux sciences et aux travaux de savants tels Giovanni Borelli[3] (1608-1679) et Giovanni Ciampini[4] (1633-1698).
Elle entretint une correspondance soutenue et de haut vol avec de grands esprits de son temps comme les philosophes Blaise Pascal (1623-1662), Baruch Spinoza (1632-1677) et Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716).
Personnage historique central du XVIIe siècle, la reine Christine de Suède choqua nombre de ses contemporains par ses manières libres et son comportement qualifié d’extravagant, tout en conservant une aura certaine et un pouvoir tant politique que culturel auprès des monarques européens, et Marion Lemaignan brosse avec finesse un portrait haut en couleur et de cette femme d’une modernité remarquable, adepte subtile du soft power.
PÉTRONE
Christine de Suède – Souveraine européenne par Marion Lemaignan, Paris, Éditions Perrin, collection « Biographes », septembre 2025, 349 pp. en noir et blanc au format 14 x 21 cm sous couverture brochée en couleurs, 23 € (prix France)
[1] C’est l’une des batailles les plus marquantes de la guerre de Trente Ans, pendant laquelle les armées suédoises du roi Gustave I Adolphe de Suède, mort au combat, s’imposèrent face à des forces de la Ligue catholique dirigées par Albrecht von Wallenstein, le plus fameux condottiere au service du Saint-Empire romain germanique pendant la guerre de Trente Ans, devenu généralissime des armées impériales, duc de Friedland, de Sagan et de Mecklembourg.
[2] Anne Chabanceau de La Barre, baptisée le 3 septembre 1628 à Paris et morte avant le 7 mars 1688 dans la même ville, était une chanteuse, luthiste, claveciniste et danseuse française. Elle est considérée comme la plus importante chanteuse française avant l’époque des tragédies lyriques, ayant joui d’une réputation internationale.
[3] Giovanni Alfonso Borelli, né à Naples le 28 janvier 1608, Naples et mort le 31 décembre 1679 à Rome, était un mathématicien, philosophe, astronome, médecin et physiologiste italien. On lui attribue un rôle fondateur dans l’histoire de la physiologie.
[4] Giovanni Giustino Ciampini (né à Rome le 13 avril 1633 et mort le 12 juillet 1698 dans la même ville) était un ecclésiastique, anthropologue, écrivain, historien, archéologue, historien de l’art, historien de l’Église et naturaliste italien. (Source : Wikipédia)