Drague, mode d’emploi

Présenté par son auteur – si brillant et ô combien regretté – comme un « manuel de séduction à l’usage des hommes », Le Petit Don Juan de Jean Dutourd (1920-2011) qui vient de reparaître aux Éditions Soliflor à Bruxelles (publié en 1950, l’ouvrage était épuisé depuis des lustres mais il n’a pas pris une ride) constitue un véritable festival d’humour subtil et d’intelligence exacerbée, qualités dont ce grand académicien français fit montre de longues années durant, notamment dans ses chroniques vachardes du règne de François Mitterrand mais aussi en participant régulièrement aux « Grosses Têtes » de Philippe Bouvard, la plus populaire et la plus pérenne de toutes les émissions radiophoniques de l’Hexagone depuis l’invention de la TSF.

Se donnant comme un cours de stratégie de la séduction (« Quand on ne naît pas séduisant, on n’a pas d’autre choix que de le devenir »), son petit opus envisage tous les aspects de la drague avec une lucidité cynique qui n’a d’égale que l’efficacité roublarde… et l’ironie corrosive.

La preuve ?

Ces quelques lignes traitant de l’usage de la flatterie à l’égard des dames :

« Seules les flatteries énormes, impudiques, incroyables sont efficaces. Les autres, les subtiles, les sincères ne servent à rien : elles passent inaperçues.

Voici quelques modèles de flatteries vraiment productives :

a) “Comme vous êtes belle.” (Se dit d’emblée, avant toute autre considération. Comparable au pilonnage de l’artillerie avant l’attaque. Frappe de stupeur. N’est jamais mis en doute. Se complète par : “Vous, les femmes ne doivent pas vous aimer beaucoup.”)

b) “Vous êtes la femme la plus intelligente d’Europe.” (Ne peut guère se dire avant une petite demi-heure de conversation. L’amener par deux ou trois remarques de cet ordre : “Moi, je serais incapable d’aimer une femme bête.” “Je vous écoute depuis un quart d’heure : vous n’avez pas dit une seule bêtise.”)

c) “Vous avez un instinct infaillible.” (Se dit dans tous les cas, absolument. D’un effet certain.)

d) “Au fond, vous avez un caractère d’acier.” (S’accompagne ordinairement de : “Tout plie devant vous, rien ne vous résiste, etc.”)

e) “Je vous crois capable de férocité terrible comme de bonté surhumaine.” (Pourquoi pas, hein ?)

Ceci doit être prononcé avec le plus grand sérieux et appuyé de regards honnêtes. Vous êtes saisi. On ne pense pas à plaisanter quand on est saisi. »

Tant il est vrai, comme l’assurait le Dom Juan de Molière en 1665, que « l’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus. »

Et que rien n’a vraiment changé sous le soleil !

Sauf la perspicacité féminine, bien entendu…

PÉTRONE

Le Petit Don Juan par Jean Dutourd, préface de François Taillandier, illustrations de Maurice Henry, Bruxelles, Éditions Soliflor, octobre 2011, 168 pp. en quadrichromie au format 15 x 15 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 15 €

Date de publication
mercredi 26 octobre 2011
Entrez un mot clef :