« Tiens, voilà du boudin ! » (Air connu)

Un volumineux ouvrage intitulé La Légion étrangère Histoire et dictionnaire, rédigé par 55 spécialistes sous la direction d’André-Paul Comor, maître de conférences honoraire à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence, a été publié récemment à Paris, aux Éditions Robert Laffont.

En voici la présentation par le maître d’œuvre du livre, parfaitement conforme à son contenu :

« Légionnaire, tu es un volontaire servant la France avec honneur et fidélité » ; « Chaque légionnaire est ton frère d’armes, quelle que soit sa nationalité, sa race ou sa religion. Tu lui manifestes toujours la solidarité étroite qui doit unir le membres d’une même famille » ; « La mission est sacrée, tu l’exécutes jusqu’ au bout et, s’il le faut, en opérations, au péril de ta vie » : les articles l, II et VI du code d’honneur du légionnaire expriment tout l’esprit de la Légion étrangère, institution et société  militaire d’exception.

Créée en 1831, aujourd’hui forte de 7 200 hommes de 150 nationalités, elle constitue bel et bien une famille, avec ses glorieux faits d’armes, ses légendes, ses drames, ses rites et ses règles. En son sein se côtoient des héros et des oubliés de l’Histoire, « des aventuriers et des distraits, des brutaux et des poètes, des monte-en-l’air et des aristos », comme l’écrit Étienne de Montety dans sa préface. Bref, un univers profondément romanesque, qui est aussi un modèle d’intégration.

De cette famille, la littérature, les chansons et le cinéma se sont depuis longtemps emparés, entretenant le mythe du légionnaire qui a tout quitté pour prendre un nouveau départ sous une identité dite « déclarée ». Ce soldat d’élite dont le passé reste toujours très mystérieux, tatoué mais sujet au « cafard », amateur de femmes, de bagarres et de pinard, chante à bon droit Non, je ne regrette rien : « C’est payé, oublié, balayé. Je me fous du passé ! » Au-delà de ce mythe, et s’affranchissant des clichés, cet ouvrage offre en près de huit cents entrées la première synthèse de l’histoire de la Légion étrangère. Sont présents les hommes [1] – avant tout –, les batailles, les traditions et le vocabulaire légionnaires, les conditions de vie, de recrutement,  les uniformes et l’histoire des régiments, mais aussi tous les sujets rarement traités comme la désertion, la propagande ou l’espionnage. Historiens, peintres et écrivains racontent aussi ces « Français par le sang versé » qui depuis 1831 ne vivent que pour leurs idéaux.

Les articles consacrés aux maladies et aux pathologies, aux plaisirs (l’alcool, les femmes, le bordel militaire de campagne) et à l’acculturation apportent des éclairages inattendus, nouveaux à plus d’un titre, sur la vie quotidienne du légionnaire au temps des colonies. Le lecteur est plongé dans ce microcosme, le plus souvent imaginé et imaginaire depuis la fin du XIXe siècle. Nul ne s’étonnera de la place dédiée à la littérature (souvenirs ou mémoires, journaux et romans), à la presse, aux représentations en général (la chanson, le théâtre, l’opérette) et au cinéma en particulier.

Les aspects les plus neufs relèvent de l’histoire des relations internationales, plus exactement des relations franco-allemandes marquées par des crises et des tensions qui ont jalonné le premier XXe siècle (1900-1962). Le dictionnaire est précédé d’un texte – « Étrangers au service de la France » – sur la « préhistoire » de la Légion étrangère et comprend, outre une chronologie comparée, une bibliographie inédite, les premières discographie et filmographie sur la Légion, des cartes, plans et croquis, ainsi que des tableaux accompagnant divers documents et planches d’insignes. »

Loin de n’être qu’un plaidoyer pro domo, cette somme passionnante ne fait l’impasse ni sur les crimes ou les errements de certains képis blancs fameux comme Roger Degueldre, Pierre Sergent et Jean-Marie Le Pen ni sur les arguments des adversaires de l’armée en général et de la Légion en particulier, comme Bernard Clavel ou Jules Roy.

Une courte anthologie s’attache de surcroît à faire découvrir l’âme sensible qui se cache derrière le légionnaire anonyme…

On regrettera cependant qu’il ne soit pas fait mention de l’œuvre littéraire de Jean Lartéguy et qu’une entrée spécifique n’ait pas été consacrée aux Belges qui furent innombrables à s’engager… comme le montre le chant officiel de la Légion dont le boudin peut aussi bien faire référence à la préparation de viande qu’à la toile de tente roulée sur le havresac du soldat.

PÉTRONE

La Légion étrangère Histoire et dictionnaire sous la direction d’André-Paul Comor, préface d’Étienne de Montety, Paris, Éditions Robert Laffont, collection « Bouquins », mars 2013, 1147 pp. en noir et blanc au format 13 x 19,8 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 32 € (prix France)


[1] NDLR : on se souviendra que des artistes, et non des moindres, ont été légionnaires (le poète suisse Blaise Cendrars, l’écrivain allemand Ernst Jünger, l’écrivain hongrois Arthur Koestler, le jazzman américain Cole Porter, le peintre allemand Hans Hartung, le sculpteur biélorusse Ossip Zadkine et l’acteur d’origine corse Philippe Léotard…) ou ont tenté de l’être (Guillaume Apollinaire, Jean Genêt, Pierre Mac Orlan, Curzio Malaparte…)

Date de publication
jeudi 11 avril 2013
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