Tintin, sa peau, son corps, son père…

Dans la peau de Tintin

Saint-Hergé, patron des éditeurs ! Avec René Magritte, Georges Simenon, Jacques Brel et la famille royale, Georges Remi est la bénédiction de ceux qui, en Belgique, s’échinent à fabriquer des livres (activité ô combien périlleuse). Dans le cas d’Hergé, il faut reconnaître que la matière est riche, comme le montre le récent essai de Jean-Marie Apostolidès, professeur à l’université de Stanford (eh oui), intitulé Dans la peau de Tintin, paru récemment aux Impressions Nouvelles à Bruxelles. Quand on referme ces pages très denses, on comprend mieux la fascination des lecteurs pour une œuvre avant tout destinée aux enfants mais où l’auteur a réussi à glisser dès le départ ses aspirations et ses hantises secrètes. Ainsi, durant une première partie de sa carrière (neuf albums), le grand Bruxellois s’est constamment mis dans la peau de sa créature jusqu’au moment où, ayant mûri et traversé une longue crise personnelle à la fin des années quarante, il s’est distancié de lui. C’est alors que Tintin s’efface devant Haddock et Tournesol. On peut donc lire les aventures du petit reporter comme une biographie cachée de son géniteur.

Mais l’ouvrage d’Apostolidès va beaucoup plus loin dans l’analyse et pose de nombreuses questions, parfois sans y répondre. Sur le corps de Tintin : vierge, inviolable, invulnérable. Un corps que personne n’a jamais vu, androgyne, soumis au conflit du masculin (le calcul) et du féminin (la rêverie). Sur l’enfance de Georges, dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’elle fut « grise » dans un milieu aimant mais petit bourgeois, conservateur et pudique. Sur ses rapports avec les femmes, Germaine étant la mère ou la jumelle, Fanny étant la petite fille. Sur sa vision de la folie et du mal avec l’arrivée du capitaine qui incarne d’abord les deux avant qu’il parvienne, sous l’influence de son jeune ami, à maîtriser ses pulsions. Bref, un essai qui part dans toutes les directions, à l’image de la complexité des albums, y compris la série des Jo et Zette que les exégètes ont tendance à négliger et certaines lettres révélatrices d’étranges tourments. Comment expliquer le succès planétaire de Tintin ? Par le fait que tout le monde désire et peut se mettre dans sa peau ? Sans doute, mais surtout parce que son créateur était un homme sensible et refoulé qui a su tirer le meilleur de ses expériences intimes pour les extérioriser dans ses dessins avec un très talentueux mélange de ruse et d’audace.

PLINE LE JEUNE

Dans la peau de Tintin par Jean-Marie Apostolidès, Bruxelles, Les Impressions Nouvelles, collection « Réflexions faites », 2010, 336 pp. en noir et blanc au format 17 x 24 cm sous couverture brochée en couleur, 22 €.

Date de publication
mercredi 22 septembre 2010
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