« On avait alors la fureur des petites maisons. J’en louais une dans le faubourg Oriental, et j’y plaçais successivement quelques-unes de ces filles qu’on voit, qu’on ne voit plus ; à qui l’on parle, à qui l’on ne dit mot, et que l’on renvoie quand on est lasse [sic]. J’y rassemblais des amis et des actrices de l’Opéra : on y faisait de petits soupers… »
Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets
Claire Ollagnier est docteure en histoire de l’art. Après s’être consacrée pendant plusieurs années à l’étude de l’architecture féminine au XVIIIe siècle, elle a soutenu sa thèse sur les Petites maisons suburbaines au XVIIIe siècle à l’Université Paris I sous la direction de Daniel Rabreau. Actuellement chercheure post-doctorante, elle consacre ses travaux au développement de l’habitat pavillonnaire dans la première moitié du XIXe siècle.
Forte de sa science académique, elle a fait paraître chez Mardaga à Bruxelles un essai très documenté intitulé Petites maisons – Du refuge libertin au pavillon d’habitation en Île-de-France au siècle des Lumières dans lequel elle montre comment l’émergence d’un idéal architectural en France au XVIIIe siècle, celui de la « petite maison » de plaisir, a évolué vers un nouveau modèle, celui de la maison pavillonnaire que nous connaissons encore aujourd’hui.
Voici ce qu’elle en dit :
« Depuis le début du XVIIIe siècle, le concept d’un lieu situé à l’abri de tous les regards et voué aux plaisirs du libertin a envahi la littérature romanesque et théâtrale (Diderot, Sade, Crébillon, etc.). Les rapports de police et les chroniques scandaleuses regorgent également d’anecdotes piquantes à ce sujet, contribuant ainsi à créer le mythe de la “petite maison”.
Cependant, il faut attendre les années 1750 et la construction du pavillon La Bouëxière[1] pour voir émerger un nouveau type architectural dont le programme s’élabore peu à peu. S’initie alors une vague de réflexions sur ce nouveau mode d’habitat et tous les quartiers périphériques de la capitale se couvrent d’édifices aux allures diverses, mais répondant aux mêmes critères architecturaux : renouvellement des dispositifs conventionnels, réduction de la taille des appartements, adoption du plan massé et situation dans un environnement paysager.
La multiplication de ces petites maisons illustre par ailleurs l’émergence d’un nouvel art de vivre et les aspirations d’une société en mutation qui use de toutes les ressources des arts (architecture, jardin, peinture, sculpture…) pour créer de véritables écrins qui ne laisseront pas indifférent le public de l’époque.
Remontant jusqu’aux origines de l’habitat pavillonnaire, cette étude vise à montrer que si le phénomène des périphéries pavillonnaires a jusqu’alors été plutôt attribué aux retombées de la révolution industrielle et à la création de cités ouvrières, les prémices se font sentir dès la fin du XVIIIe siècle. »
Un ouvrage solide, ambitieux, fort technique et richement illustré de gravures et de plans, qui se penche sur l’histoire de l’architecture et des jardins, mais également sur celle des idées, de la littérature et du théâtre, de la politique et de la ville.
Une magnifique construction intellectuelle !
PÉTRONE
Petites maisons – Du refuge libertin au pavillon d’habitation en Île-de-France au siècle des Lumières par Claire Ollagnier, avant-propos de Michel Delon, préface de Jean-Philippe Garric, Bruxelles, Éditions Mardaga, collection « Architecture », avril 2016, 350 pp. en quadrichromie au format 20,5 x 22,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 39 €
[1] Dans l’actuel IXe arrondissement de Paris. Le Fermier général Charles-François Gaillard de la Bouëxière avait acheté en 1747 cette propriété pour disposer d’un petit hôtel aux portes de Paris destiné « au délassement et pour la retraite des personnes aisées et des hommes du monde ». Dès 1749, les rapports des inspecteurs de police notaient qu’il y recevait la demoiselle Marlet, danseuse à l’Opéra-comique… (https://fr.wikipedia.org/wiki/Rue_Ballu)