Divan, le terrible ?

Le milieu intello-cultureux a pu assister ce printemps 2010 au clash opposant Michel Onfray à une bande de pygargues vulgaires qui, à coup de noms d’oiseaux, ne l’ont pas épargné. Je veux parler naturellement de cette élite autoproclamée de la psychologie qui se flatte de pouvoir pratiquer sans diplôme : les psychanalystes. Le livre d’Onfray que nos orfraies n’ont pas digéré, le public, lui, l’a dévoré. Aussi, nos professionnels de cabinet, assistés par leurs fans, ont-ils pu reprocher à cette dissection du père de la psychanalyse tout ce que l’élitisme croit pouvoir reprocher à un succès public : racoleur, mal ficelé, obscène, insultant l’intelligence, antisémite, boursouflé, prévisible…

Bref, Onfray, avec Le crépuscule d’une idole paru récemment chez Grasset à Paris, ne se serait pas seulement contenté de fouiller les poubelles de Freud, il se serait trompé de poubelles. Et à côté des arguments brillants du genre : « La haine que l’hédoniste de Caen voue à Freud ne fait que trahir son désir inconscient de tuer le père… »« Comment peut-on critiquer la psychanalyse sans avoir fait une analyse ? », on retiendra, pour en mesurer la finesse, le seul argument qui, visant le travail d’Onfray, ne se voulait pas ad hominem : « Freud affabulateur, drogué, philosophobe, fasciste, phallocrate, paranoïaque, incestueux, cupide, arriviste, escroc, homophobe…, c’est trop pour un seul homme, c’est trop mal pour être vrai ! ». Si l’on suit alors nos braconniers de l’inconscient, on doit en conclure que le mal étant inhumain, il ne peut y avoir d’homme vraiment mauvais. La bonne foi n’est visiblement pas ce qui étouffe le culte de Freud…

Aussi, puisqu’il n’a pas su faire preuve d’humanité avec Freud, Onfray s’est vu au final relégué, à son corps défendant, en suppôt du mal incarné par les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) et leur Livre noir de la psychanalyse paru en 2005, que les traqueurs de lapsus espéraient oublié. À ce sujet, on appréciera encore une fois toute la finesse des aventuriers du tréfonds. Face aux TCC qui seraient obnubilées par l’efficacité et la logique de rendement, TCC à la botte du pouvoir plutôt que du désir, TCC programmant la mort de la psychanalyse pour rafler sa part du marché (de la souffrance psychique), TCC au service de l’exploitation de l’homme par l’homme réduit à un objet numéroté, — face donc à ces psychothérapies « scientistes » portées par une pulsion de mort où se profilerait rien de moins que le retour d’Auschwitz, la psychanalyse constituerait pour eux notre précieux mais fragile « supplément d’âme » et de poésie, dans un monde déshumanisé par la technologie.

Il suffit effectivement de lire un traité de psychanalyse pour se convaincre de leur allergie à la rigueur scientifique : avec comme prétexte l’humain rien que l’humain, tout n’est au fond que « mots d’esprit », aussi drôles qu’un club de cruciverbistes qui se seraient autorisé un verre de guignolet. Mais, pour notre part, devant ce « supplément d’âme » qui ne souffre visiblement aucune adversité, on préférera l’Université populaire à l’entre-soi du divan — où l’examinateur s’avère d’autant plus féroce que ce n’est pas lui qui parlerait, mais la vérité. Une vérité à laquelle on ne touche pas, sous peine de voir nos médias parasités par la fureur et le mépris des gardiens du temple. La caravane Onfray est toutefois bel et bien passée et l’on ne peut que se réjouir du sacrilège. Une bonne idole est une idole ridicule…

SÉNÈQUE

Le crépuscule d’une idole, L’affabulation freudienne par Michel Onfray, Paris, Éditions Grasset, avril 2010, 612 pp. en noir et blanc au format 14 x 22,5 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 22 € (prix France)

Date de publication
mercredi 1 septembre 2010
Entrez un mot clef :