Vers l’industrialisation du crime…

Saluons la publication, aux Éditions Héloïse d’Ormesson à Paris, de la traduction française de l’essai rédigé par l’historien allemand Peter Longerich consacré à La conférence de Wannsee qui réunit dans la villa Marlier à Berlin, le 20 janvier 1942, quinze hauts responsables du Troisième Reich, délégués des ministères, du parti ou de la SS, pour mettre au point l’organisation administrative, technique et économique de la « solution finale de la question juive », voulue par Hitler et ensuite mise en œuvre, sur ses instructions, par Göring, Himmler, Heydrich et l’un des collaborateurs de ce dernier, Adolf Eichmann.

Pour rappel, au moment où la conférence se tient, la Shoah a débuté depuis déjà plusieurs mois : la déportation des Juifs du Reich a commencé ; depuis l’invasion de l’URSS, les Einsatzgruppen exécutent les Juifs par centaines de milliers à partir de juin 1941 ; le camp d’extermination de Chełmno est en activité depuis décembre 1941 et d’autres centres de mise à mort sont en construction ou en projet.

Présidée par Reinhard Heydrich, la conférence, dont le secrétariat est assuré par Adolf Eichmann, dure moins de deux heures. Si elle est brève et n’est pas marquée par des décisions fondamentales, elle constitue une étape décisive dans la réalisation de la Shoah, en entérinant d’une part le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de l’extermination du peuple juif, d’autre part le rôle de Heydrich en tant que maître d’œuvre dans le processus destructeur, puis en obtenant la collaboration sans entraves et le soutien sans faille de l’ensemble de l’appareil de l’État et du parti nazi.

Participants :

Reinhard Heydrich, SS-Obergruppenführer, chef du RSHA[1] et adjoint direct de Himmler, qui préside la réunion.

Adolf Eichmann, SS-Obersturmbannführer, chef du bureau IV B-4 (Judenangelegenheiten, Affaires juives) de la Gestapo (RSHA), adjoint direct de Heinrich Müller ; il rédige les notes de la conférence.

– Dr Josef Bühler, Staatssekretär, Gouvernement général de Pologne, représentant Hans Frank.

– Dr Roland Freisler, Staatssekretär, ministère de la Justice, représentant Franz Schlegelberger.

Otto Hofmann, SS-Gruppenführer, chef du Bureau pour la race et le peuplement (RuSHA), qui dépend directement de Himmler.

– Dr Gerhard Klopfer, SS-Oberführer, secrétaire permanent à la chancellerie du parti, représentant Martin Bormann.

– Dr Friedrich Wilhelm Kritzinger, secrétaire permanent de la chancellerie du Reich, représentant Hans Lammers.

– Dr Rudolf Lange, SS-Sturmbannführer, Kommandeur der SP und des SD (KdS) – chef de la SiPo et du SD (RSHA) – à Riga, Lettonie, sous les ordres de Himmler.

– Dr Georg Leibbrandt, Staatssekretär du ministère des Territoires occupés de l’Est, représentant Alfred Rosenberg.

Martin Luther, Unterstaatssekretär, ministère des Affaires étrangères, représentant Joachim von Ribbentrop.

– Dr Alfred Meyer, Gauleiter du Gau Westfalen-Nord (de Westphalie du Nord) et Staatssekretär, adjoint de Rosenberg au ministère des Territoires occupés de l’Est.

Heinrich Müller, SS-Gruppenführer, chef de la Gestapo (RSHA), adjoint direct de Heydrich.

Erich Neumann, Staatssekretär, Beauftragter für den Vierjahresplan – représentant du Plan quadriennal – placé sous la responsabilité de Göring ; il représentait ainsi en outre les ministères de l’Économie (Walther Funk), du Travail (Franz Seldte), des Transports (Julius Dorpmüller) et de l’Armement (Fritz Todt).

Dr Karl Eberhard Schöngarth, SS-Oberführer, Befehlshaber der SP und des SD (BdS) – chef de la SiPo et du SD (RSHA) – au Gouvernement général de Pologne, dépendant de Himmler.

– Dr Wilhelm Stuckart, Staatssekretär, ministère de l’Intérieur, représentant Wilhelm Frick[2].

Le protocole de la conférence de Wannsee est aujourd’hui considéré comme le symbole même de l’organisation calculée, froide et bureaucratique du génocide des Juifs d’Europe. Si toute la lumière n’a pu être faite autour de la tenue de cette rencontre, elle est considérée comme le point de bascule du régime nazi vers sa politique génocidaire.

Selon Peter Longerich, deux visions s’y sont confrontées quant au sort des Juifs, celles de Himmler et de Heydrich. Révélant les tensions au sein de la direction de la SS et clarifiant les approximations qui entourent la rédaction du protocole de la conférence, l’historien s’attelle à en démonter le mythe et construit une lecture étayée des coulisses de ce moment charnière de la Seconde Guerre mondiale.

Un ouvrage incontournable sur cet abominable crime d’État !

PÉTRONE

La conférence de Wannsee – Le crime à l’échelle industrielle par Peter Longerich, essai traduit de l’allemand par Raymond Clarinard, Paris, Éditions Héloïse d’Ormesson, octobre 2019, 144 pp. en noir et blanc au format 14,2 x 20,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 20 € (prix France)


[1] Le Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sécurité du Reich, abréviation : RSHA) est une organisation créée le 27 septembre 1939 par le Reichsführer-SS Heinrich Himmler en fusionnant le SD (Sicherheitsdienst, « Service de sécurité ») – organisme du parti national-socialiste – et la Sipo (Hauptamt Sicherheitspolizei, « Office central de la police de sécurité ») – organisme d’État incluant notamment la Gestapo (Geheime Staatspolizei) et la Kripo (Kriminalpolizei) – afin d’accroître l’efficacité de la lutte contre les « ennemis du Reich » et les « indésirables ».

À partir de l’été 1941, par le biais des Einsatzgruppen qu’il supervise, le RSHA a pour tâche d’organiser la déportation et l’extermination des Juifs d’Europe – appliquant en cela les directives de « la solution finale de la question juive » en étroite collaboration avec les « chefs supérieurs de la SS et de la Police » (les HSSPf) des divers pays d’Europe occupés.

Le RSHA est une des plus grandes organisations du IIIe Reich, en dehors de l’armée – la Wehrmacht – et de la Waffen-SS. Il a été dirigé par le SS-Obergruppenführer Reinhard Heydrich jusqu’à sa mort le 4 juin 1942, puis par Himmler qui assura l’intérim et le contrôla attentivement même après la nomination en décembre 1942 du successeur de Heydrich, le SS-Obergruppenführer Ernst Kaltenbrunner. (https://fr.wikipedia.org/wiki/Reichssicherheitshauptamt)

[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Conf%C3%A9rence_de_Wannsee

Date de publication
lundi 23 décembre 2019
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