Gastronomie visionnaire…

Le futurisme est un mouvement littéraire et artistique européen du début du XXsiècle. Il est né en Italie autour du poète Filippo Tommaso Marinetti (1876-1944) et de son Manifeste du futurisme, publié en 1909.

Le futurisme, qui rejette la tradition esthétique et exalte le monde moderne, en particulier la civilisation urbaine, prône l’amour de la vitesse et de la machine en exaltant la beauté des voitures, ainsi que la nécessité de la violence pour débarrasser l’Italie du culte archéologique du passé.

Plus qu’un mouvement, le futurisme devint un art de vivre et une véritable révolution anthropologique. Il toucha la peinture, la sculpture, la littérature, le cinéma, la photographie, le théâtre, la mise en scène, la musique, le bruitisme, l’architecture, la danse, la typographie, les moyens de communication, et même la politique, la cuisine ou la céramique qui sera consacrée dans le dernier des manifestes futuristes de 1939 [1].

Marinetti poussa ses idées jusqu’à se réclamer du social-darwinisme en exaltant « la guerre – seule hygiène du monde ». Selon lui, « le futurisme se fonde sur le renouvellement total de la sensibilité humaine produit par les grandes découvertes scientifiques ».

Fillìa, de son vrai nom Luigi Colombo (1904-1936), peintre et écrivain, fut une figure importante du mouvement.

Marinetti et lui lancèrent le Manifeste de la cuisine futuriste à Turin en 1931, dont les Impressions nouvelles à Bruxelles rééditent, sous le titre La Cuisine futuriste, la traduction de Nathalie Heinrich parue en 1982 à Paris aux Éditions Anne-Marie Métailié, un ouvrage dans lequel on peut lire : « Non content donc des immenses victoires picturales, littéraires, artistiques en somme, qu’il accumule depuis vingt ans, le futurisme italien vise aujourd’hui à un renouvellement fondamental : il ose affronter une fois encore l’impopularité avec un programme de renouvellement total de la cuisine ».

Dans ce manifeste, « on trouvera comme il se doit à boire et à manger, selon la lecture – gastronomique, poétique, politique ou ludique – qu’on voudra en faire : un recueil de recettes pour repas futuristes, incluant « entredeux » (en italien traidue, autrement dit « sandwichs ») et « polyboissons » (polibibite, ou « cocktails ») ; un manuel de diététique assorti de très sérieux avis médicaux ; un manifeste politique contre les pâtes (BASTA LA PASTASCIUTTA ! ) jugées néfastes à la grandeur de l’Italie, dans la droite ligne de l’idéologie mussolinienne ; ou encore un témoignage complet sur une tentative de lancement d’une nouvelle forme d’art.

Pourquoi cette tentative fut-elle un fiasco ? C’est la question à laquelle répondait Nathalie Heinich dans son introduction de 1982. Mais ce manifeste n’a-t-il pas malgré tout irrigué, trois générations après, les dernières tendances de la gastronomie d’avant-garde – la cuisine moléculaire et les créations de grands chefs tels Ferran Adrià, René Redzepi ou Massimo Bottura ? C’est la question qui méritait d’être posée en 2020, dans un avant-propos inédit, à l’occasion de cette nouvelle édition de l’ouvrage »[2].

Exemples de recettes :

TABLE MOTLIBRISTE

(formule de l’aéropoète futuriste Marinetti)

Sur une mer de salade frisée parsemée ça et là de morceaux de ricotta navigue un demi-melon d’eau avec à bord un petit commandant sculpté dans du fromage de Hollande qui dirige un équipage mou modelé dans une cervelle de veau cuite au lait. À quelques centimètres de la proue, un écueil en panforte de Sienne. Saupoudrer le navire et la mer de cannelle ou de piment.

PLASTICOVIANDE

(formule de l’aéropeintre futuriste Fillia)

Le Plasticoviande (interprétation synthétique des potagers, des jardins et des pâturages d’Italie) se compose d’une grande paupiette cylindrique de veau rôtie remplie de onze variétés de légumes cuits. Disposé verticalement au centre du plat, ce cylindre est couronné d’une couche de miel et soutenu à la base par un anneau de saucisses reposant sur trois boulettes dorées de viande de poulet.

CAFÉMANNE

(formule du futuriste Farfa, champion national de poésie)

Malt torréfié, adouci par la manne. Servir très chaud, pour que les convives le refroidissent en y soufflant les plus glaçantes histoires.

Buon appetito !

PÉTRONE

La cuisine futuriste par Filippo Tommaso Marinetti et Luigi Colombo (alias Fillia), texte traduit et présenté par Nathalie Heinrich, Bruxelles, Les Impressions nouvelles, février 2020, 195 pp. en noir et blanc au format 14,5 x 21 cm sous couverture brochée en couleurs, 18 €


[1] Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Futurisme

[2] Extraits de la quatrième de couverture.

Date de publication
mardi 25 février 2020
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