« Maudits ! Maudits ! Maudits ! Tous maudits jusqu’à la treizième génération de vos races ! » (Maurice Druon, « Les Rois maudits », 1955)

Né à Fontainebleau en avril/juin 1268 et mort dans la même ville le 29 novembre 1314 des suites d’une chute de cheval lors d’une partie de chasse, Philippe IV de France, dit Philippe le Bel ou le « roi de fer », était le fils de Philippe III de France et de sa première épouse, Isabelle d’Aragon. Il fut roi de France de 1285 à 1314, onzième de la dynastie des Capétiens directs.

Sous son règne, son royaume atteignit l’apogée de sa puissance médiévale. Avec entre 16 et 20 millions d’habitants, c’était l’État le plus peuplé de la chrétienté, qui connut une grande prospérité économique et le pouvoir royal se renforça considérablement.

Philippe IV éprouva toutefois des difficultés à reprendre la maîtrise des finances de son royaume et à mettre fin aux mutations monétaires. Pour cela, il abattit l’ordre du Temple qui était devenu une puissance financière internationale, expulsa les Juifs et procéda à une dévaluation en rétablissant une monnaie d’or qui restera ferme pendant plus d’un siècle.

Plusieurs affaires ont marqué son règne. Le procès de l’évêque de Troyes, Guichard, accusé d’avoir tué la reine par sorcellerie, le procès de l’évêque de Pamiers, Bernard Saisset, qui ne fit qu’aggraver les démêlés du roi avec le Saint-Siège, l’affaire de la tour de Nesle (l’emprisonnement des brus du roi et l’exécution de leurs amants), mais surtout le célèbre procès des templiers.

L’administration du royaume, limitée à la cour du roi chez ses prédécesseurs, se spécialisa en trois sections sous sa direction :

– le Grand Conseil qui examinait les dossiers politiques ;

– le Parlement, responsable de la justice ;

– la Chambre des comptes, spécialisée dans les affaires financières, qui établit des taxes pour les exportations, soumit les terres de l’Église à une redevance (les décimes), introduisit une taxe pour toute vente, et réalisa des manipulations monétaires en changeant le poids ou le taux des métaux précieux des pièces sans en changer la valeur, ce qui fit donner à Philippe IV le surnom de « faux-monnayeur » par ses détracteurs.

Ces transformations rendirent Philippe le Bel très impopulaire dans toutes les couches de la société.

Lorsque le comte de Flandre, Gui de Dampierre, allié à Édouard :Ier d’Angleterre, rompit son hommage de vassal au roi de France en 1297, Philippe IV mobilisa 70 000 hommes pour envahir son comté et il tourna son armée contre les Flamands révoltés. Après une conquête relativement facile (prise de Lille en 1297, de Courtrai, Furnes, Bergues et Bruges), une trêve fut signée en 1300 aux termes de laquelle Philippe IV conservait ces conquêtes.

Philippe le Bel subit ensuite deux échecs en 1302 avant d’être finalement victorieux des Flamands :

– Les matines de Bruges. À l’aube du 18 mai 1302, des insurgés flamands armés attaquèrent une des garnisons françaises de la ville. Environ mille soldats français de la garnison furent assassinés au pied du lit. On appelle cette journée « matines de Bruges » ou « matines brugeoises », par analogie aux « Vêpres siciliennes » qui avaient chassé les Français de Sicile vingt ans plus tôt.

– La bataille des Éperons d’or. Le 11 juillet 1302, les chevaliers français menés par Robert II d’Artois furent écrasés près de Courtrai par des milices communales flamandes.

– La victoire navale de Zierikzee. Le 10 août 1302, une escouade de Français avait réussi à crever les tonneaux de bière placés sur un petit tertre par les Flamands pour se désaltérer : ceux-ci n’eurent plus à boire. Cette après-midi-là, le roi échappa à la mort : 600 Flamands, en désespoir de cause, firent un ultime raid vers le camp royal. Par chance, Philippe s’était dévêtu de son armure royale. Les Flamands ne le reconnurent pas et il réussit à sauter sur un cheval pour se dégager à grands coups de hache d’armes. De nombreux seigneurs perdirent la vie, dont le vicomte de Turenne et Mathieu IV de Montmorency. Le roi attribua cette victoire à la protection de la Vierge et, dans la nef de la cathédrale Notre-Dame de Paris, accolée au premier pilier oriental côté sud, il fit dresser une statue équestre en bois en ex-voto face à l’autel de Marie.

– La bataille de Mons-en-Pévèle. Le 18 août 1304, malgré l’issue indécise du combat (centre de l’armée royale enfoncée et ailes de celle des Flamands en déroute), le roi parvint à exploiter la situation en sa faveur par la prise de Lille le 25 septembre après un siège de 3 semaines, suivie par la reddition de Douai.

À l’issue de ce conflit, Lille et la Flandre wallonne restèrent dans le royaume de France jusqu’en 1369.

Le règne de Philippe IV fut aussi marqué par ses différends avec le pape Boniface VIII, dont le point central est le droit que s’attribua le roi de France d’imposer les biens de l’Église situés dans son royaume. Ce que contestera le pape, soucieux de conserver la force du principe de prééminence du pape sur les rois, du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel. La décrétale Clericis laicos du 24 février 1296 est le point de départ. Boniface VIII, qui a alors d’autres préoccupations (conflits avec les Aragonais de Sicile et les Colonna), se trouve dans l’embarras et cède bientôt. Les bulles Romana mater (février 1297) et Etsi de statu (juillet 1297) donnent gain de cause au roi. Ce dernier document contient une renonciation formelle aux prétentions émises pour la défense des biens ecclésiastiques contre l’arbitraire des rois dans la décrétale Clericis laicos.

Cependant, en 1302, par la bulle Unam Sanctam, Boniface VIII déclare la supériorité du pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel, et par ce biais la supériorité du pape sur les rois, ces derniers étant responsables devant le chef de l’Église. Philippe le Bel réunit un concile des évêques de France pour condamner le pape, ainsi que des assemblées de nobles et de bourgeois à Paris (précurseurs des états généraux, qui apparaissent pour la première fois sous son règne). Le roi cherche l’appui de tous ses sujets afin de légitimer la lutte qu’il mène contre le pape. Ce dernier menace de l’excommunier et de jeter l’interdit sur le royaume de France.

Fort du soutien de la population et des ecclésiastiques, le roi envoie alors son conseiller (et futur garde des Sceaux), le chevalier Guillaume de Nogaret, avec une petite escorte armée vers l’Italie, dans le but d’arrêter le pape et de le faire juger par un concile. Nogaret est bientôt rejoint par un ennemi personnel de Boniface VIII, Sciarra Colonna, membre de la noblesse romaine, qui lui indique que le pape s’est réfugié à Anagni, résidence d’été du pape, proche de Rome, et fief des Caetani, la famille du pape.

Le 7 septembre 1303, Nogaret et Colonna arrivent à Anagni et trouvent le pape seul dans la grande salle du palais épiscopal abandonné par ses partisans. Le vieil homme de 68 ans est assis sur un haut siège, en habit de cérémonie, et ne réagit pas à l’irruption de la troupe armée. En voyant Guillaume de Nogaret et Sciarra Colonna approcher, il incline légèrement la tête et déclare : « Voilà ma tête, voilà mon cou, au moins je mourrai en pape ! »

Guillaume de Nogaret recule, impressionné, tandis que Sciarra Colonna, dans sa haine de Boniface VIII, se serait avancé insolemment et lui aurait, dit-on, donné une gifle avec son gantelet de fer.

Peu de temps après le 9 septembre, la population de la ville d’Anagni se révolte et dégage le pape des mains des Français, mais le souverain pontife tombe malade et meurt un mois plus tard à Rome, le 11 octobre 1303.

Cet énorme scandale éclaboussa Philippe le Bel.

Après le très court pontificat de Benoît XI (1303-1304), Clément V, archevêque de Bordeaux, est couronné pape à Lyon le 5 juin 1305. Après une longue itinérance, il s’installe dans le Comtat Venaissin. Comptant sur son appui, mais sans lui demander la permission, le roi met en marche l’anéantissement de l’ordre du Temple.

Le vendredi 13 octobre 1307, les templiers sont mis en prison puis torturés pour leur faire admettre l’hérésie dans leur ordre. Le maître de l’ordre, Jacques de Molay, périt sur le bûcher à Paris en 1314 après avoir été déclaré relaps. Selon Geoffroi de Paris, témoin oculaire de l’événement et chroniqueur de l’époque, ses dernières paroles auraient été : « Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement ; Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort ! ».

On connaît la suite, la chute de cheval, l’adultère de ses brus, la mort précoce de ses trois fils et la guerre de Cent Ans, narrée par Maurice Druon dans Les Rois maudits.

Coédité par les Éditions Glénat à Grenoble et Fayard à Paris, l’album de bande dessinée intitulé Philippe le Bel s’ouvre et se termine par l’exécution du chambellan et ministre coadjuteur de Philippe IV, Enguerrand de Marigny, né à Lyons-la-Forêt en Normandie vers 1260.

La mort de Philippe le Bel fut en effet le signal de la réaction contre sa politique. Le parti féodal, dont le roi avait considérablement limité le pouvoir, se retourna contre ses ministres et surtout contre le principal d’entre eux, le coadjuteur.

Enguerrand fut arrêté sur l’ordre de Louis X, fils de Philippe le Bel, répondant à la demande de Charles de Valois ; on porta sur lui 41 chefs d’accusation (la totalité de ceux-ci est répertoriée dans les Grandes Chroniques de France). On refusa de l’entendre, mais comme ses comptes étaient en ordre et ne présentaient aucune irrégularité, Louis X le Hutin souhaitait seulement condamner l’ancien bras droit de son père au bannissement dans l’île de Chypre.

Charles de Valois présenta alors une accusation de sorcellerie qui, bien que totalement fausse, fut plus efficace. Enguerrand refusa de se défendre face à un tribunal où l’accusateur principal n’était autre que son propre frère cadet, l’évêque Jean de Marigny. Cette trahison, selon toute vraisemblance, le rendit très amer. Il fut condamné et pendu le 30 avril 1315 au gibet de Montfaucon.

Son corps resta exposé au gibet pendant deux ans, jusqu’en 1317, quand un second procès, demandé par le nouveau roi Philippe V le Long, le disculpa des méfaits qu’on lui imputait et réhabilita sa mémoire. Ses restes furent alors inhumés dans l’église des chartreux de Vauvert, puis transférés en 1325 ou 1326 dans la collégiale d’Écouis, qu’il avait lui-même fondée en 1312-1313, et où l’on peut toujours admirer un remarquable ensemble de statues qu’il avait commandées [1].

L’album montre que derrière la légende du procès des templiers et des rois maudits se cache un roi silencieux, secret et éminemment politique. Et que les « affaires » qui émaillèrent cette époque suscitent des questions : pourquoi le Temple ? Pourquoi la dévaluation ? Pourquoi ce conflit avec le Pape ?

Et que de l’étude de ces presque 30 ans de règne émerge finalement une volonté constante et tendue vers un but unique, la grandeur du royaume de France.

PÉTRONE

Philippe le Bel, scénario de Mathieu Gabella, conseils historiques d’Étienne Anheim et Valérie Theis, dessin de Christophe Regnault, Grenoble et Paris, Éditions Glénat et Fayard, collection « Ils ont fait l’Histoire », mars 2014, 56 pp. en quadrichromie au format 24 x 32 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 14,50 € (prix France)


[1] Sources : Jean Favier et Wikipédia.

Date de publication
mardi 2 juin 2020
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