Mécanique d’un génie

Paru en 1952, le Saint Genet comédien et martyr de Jean-Paul Sartre a été réédité par les Éditions Gallimard à Paris à l’occasion du centenaire de la naissance de l’auteur du Condamné à mort (1942), de Notre-Dames-des-Fleurs (1944), Les Bonnes (1947), Querelle de Brest (1947), Pompes funèbres (1947), Journal du voleur (1949), Le Balcon (1956), Les Nègres (1958) et Les Paravents (1961) ainsi que de nombreux articles de presse, des écrits qui tous ébranlèrent l’ordre établi par leur mise en exergue d’une recherche de la pureté et même de la sainteté au travers de personnages odieux évoluant dans un monde pervers où le mal et le sexe sont omniprésents.

Jean Genet (1910-1986), né de père inconnu et abandonné par sa mère à la naissance, enfant de l’Assistance publique placé dans une famille aimable du Morvan, commettra son premier vol à 10 ans (pour exister, explique Sartre), fuguera, aboutira dans une colonie pénitentiaire où il découvrira son homosexualité aux accents masochistes, s’engagera dans la Légion étrangère, croupira à Fresnes pour divers larcins, publiera des livres, subira les foudres de la censure, se fera traiter d’écrivain excrémentiel par François Mauriac, recevra les éloges de Cocteau, de Beauvoir, de Giacometti, de Brassaï, de Matisse, triomphera au théâtre, s’engagera dans divers combats politiques, verra son compagnon se suicider, se droguera aux barbituriques et mourra accidentellement après une vie d’errance dans des hôtels borgnes.

Sartre lui trouvait du génie et son Saint Genet comédien et martyr aurait dû être la préface des Œuvres complètes de l’écrivain tôlard. Mais la perspicacité du philosophe existentialiste fut extraordinaire et l’ouvrage prit une ampleur considérable (près de 700 pages en petits caractères) avec une ambition bien précise : « Montrer les limites de l’interprétation psychanalytique et de l’explication marxiste et que seulement la liberté peut rendre compte d’une personne en sa totalité, faire voir cette liberté aux prises avec le destin d’abord écrasée par ses fatalités puis se retournant sur elle : pour les digérer peu à peu, prouver que le génie n’est pas un don mais l’issue qu’on invente dans les cas désespérés, retrouver le choix qu’un écrivain fait de lui-même, de sa vie et du sens de l’univers jusque dans les caractères formels de son style et de sa composition jusque dans la structure de ses images, et dans la particularité de se goûts, retracer en détail l’histoire d’une libération. »

La mise à nu des ressorts de son œuvre fut telle que Genet ne s’en remit pas et qu’il lui fut impossible d’écrire durant de nombreuses années. Cependant que le texte de Sartre, incontestablement éblouissant et novateur, la pérennisait…

PÉTRONE

Saint Genêt comédien et martyr par Jean-Paul Sartre, Paris, Éditions Gallimard, collection « Tel », octobre 2010, 692 pp. en noir et blanc au format 13 x 19 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 11,50 € (prix France)

Date de publication
mercredi 29 décembre 2010
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