Le roi des chefs et le chef des rois…

Professeure des Universités depuis septembre 1998 et titulaire de la chaire d’histoire de la Russie et de l’Union soviétique à la Sorbonne, Marie-Pierre Rey a publié chez Flammarion un passionnant essai biographique – complété de 100 recettes du maître – intitulé Le premier des chefs – L’exceptionnel destin d’Antonin Carême pour la rédaction duquel elle s’est penchée sur des archives inédites.

Antonin Carême (1784-1833) fut un très grand pâtissier et un cuisinier fort fameux à l’époque de Napoléon Ier, son idole.

Pièces montées d’Antonin Carême [1].

Passionné d’architecture apprise à la Bibliothèque nationale sur son temps libre, il inventa les pièces montées, des constructions élaborées entièrement en sucre, pâte d’amande et pâtisserie, utilisées comme centres de table et qui atteignaient parfois plusieurs pieds de hauteur.

Il fit de l’art culinaire une science et fut considéré comme un génie par ses contemporains.

Abandonné par ses parents, Antonin Carême ne connut pourtant pas un sort malheureux. Dès l’âge de seize ans, il entra comme apprenti chez Bailly, l’un des plus grands pâtissiers de Paris.

Celui-ci avait pour client le ministre Talleyrand, qui initia Carême au grand monde.

Il eut également pour mentor le célèbre pâtissier Gendron, qui accepta de le laisser faire des « extras » dans d’autres maisons, lui ouvrant ainsi les portes des familles les plus aisées de Paris.

À vingt-cinq ans seulement, Carême fut au firmament parisien et il s’initia alors à la haute cuisine.

Moins de quinze années séparent le jeune garçon analphabète et chétif, abandonné par un père trop pauvre pour le nourrir, du pâtissier en vogue, régalant le Tout-Paris de ses exquis croquembouches aux couleurs pastel et aux formes architecturales les plus extravagantes, et moins de cinq ans suffiront à transformer le pâtissier débutant en chef adulé des plus grandes cours d’Europe.

La liste des personnalités qui firent appel à ses talents est prestigieuse : Talleyrand, Caroline Bonaparte, Joachim Murat, l’empereur Napoléon, le tsar Alexandre Ier, le futur roi d’Angleterre George IV, le baron et la baronne James de Rothschild, l’empereur d’Autriche François Ier ou encore la princesse Catherine Bagration…

Il a bénéficié avec bonheur du nouveau rapport que le Consulat et le pouvoir napoléonien ont souhaité entretenir avec la cuisine, y voyant un outil d’influence majeur [2].

Ajoutons que Carême, qui fut le premier cuisinier français à porter l’appellation de chef et à se couvrir le chef d’une toque, révolutionna la gastronomie de son temps sur presque tous les plans, en rendant par exemple leurs lettres de noblesse aux poissons et en sublimant des préparations venues de l’étranger (Italie, Angleterre, Russie, Prusse…).

Antonin Carême a écrit plusieurs ouvrages, dont le plus connu est L’Art de la cuisine française au XIXsiècle, une encyclopédie en 5 volumes (1833-1834), dont trois étaient terminés avant sa mort et qui comprenait, outre des centaines de recettes, des menus et des plans de table, une histoire des préparations françaises et des instructions pour l’organisation des cuisines.

Le très brillant essai de Marie-Pierre Rey retrace non seulement la vie trépidante de ce praticien de génie, tout en offrant un éclairage neuf sur l’essor de la gastronomie française et l’invention d’une véritable modernité culinaire, mais il rétablit aussi quelques vérités (Carême n’officia pas au Congrès de Vienne en 1814-1815, contrairement à la légende) et analyse avec attention les pratiques et les menus du maître des feux en soulignant, par exemple, son manque d’intérêt pour les vins d’accompagnement de ses créations.

Nobody’s perfect, isn’t it ?

PÉTRONE

Le premier des chefs – L’exceptionnel destin d’Antonin Carême par Marie-Pierre Rey, Paris, Éditions Flammarion, octobre 2021, 372 pp. en noir et blanc + 1 cahier de 16 pp. en quadrichromie au format 16 x 21,9 cm sous couverture brochée en couleurs, 24,90 € (prix France)

Pour vous, nous avons recopié dans cet ouvrage remarquable la recette maritime suivante :

TURBOT GRILLÉ À LA PROVENÇALE

Vous préparez de tout point votre poisson selon l’analyse précitée, seulement vous ajoutez une gousse d’ail et deux échalotes émincées dans l’assaisonnement ; deux heures après, vous en retirez le turbot, que vous avez, bien entendu, frotté tous les quarts d’heure avec l’assaisonnement, puis vous le faites griller du côté blanc, et le renversez ensuite sur la feuille grassement beurrée de la turbotière, dans laquelle vous placez le turbot, que vous arrosez avec l’huile de son assaisonnement ; après quoi vous y joignez une bouteille de champagne et une demie d’huile d’Aix ; semez dessus le turbot un peu de sel, de poivre et de muscade râpée ; placez la turbotière sur un fourneau ardent ; dès que l’ébullition a lieu, vous la placez sur un feu doux, afin que le turbot ne fasse que mijoter pendant une petite heure ; vous devez mettre également du feu sur le couvercle de la turbotière ; au moment du service, vous dégraissez parfaitement la cuisson, que vous passez au tamis de soie et faites réduire en demi-glace. Ajoutez un beurre d’anchois et du beurre frais en suffisante quantité pour lui donner du velouté ; vous la servez dans deux saucières ; dressez le turbot sur son plat, et le glacez avec sa propre glace.


[1] https://www.pinterest.com/pin/349521621077161898/

[2] Sources : https://www.franceculture.fr/emissions/sans-oser-le-demander/antonin-careme-savant-fou-de-la-patisserie, en sus de l’ouvrage et de Wikipédia.

Date de publication
jeudi 6 janvier 2022
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