Instructif plaidoyer pro domo…

Présentés par Clément Tibère – c’est le pseudonyme d’un haut cadre de la communauté française du renseignement, diplômé de Sciences Po, ancien élève de l’ENA, et l’un des coauteurs du Dictionnaire du renseignement dirigé par Hugues Moutouh et Jérôme Poirot publié chez Perrin en 2018 – et accompagnés d’un puissant appareil critique, les mémoires posthumes de Walter Schellenberg, Le chef du contre-espionnage nazi parle, dont la traduction française publiée en 1957 est ressortie en 2019, ont enfin paru en version de poche dans la même maison au sein de la célèbre collection de référence « Tempus ».

Walter Schellenberg, né le 16 janvier 1910 à Sarrebruck (Allemagne) et mort le 31 mars 1952 à Turin (Italie), était un haut fonctionnaire SS du régime hitlérien.

Ayant adhéré en 1934 au parti nazi par ambition politique, homme cultivé, tacticien hors pair, agent provocateur spécialiste des stratagèmes et chantages en tous genres, il a participé à plusieurs opérations en tant qu’agent provocateur, notamment l’affaire Toukhatchevski[1] ou la mise en place du bordel connu sous le nom de « salon Kitty »[2].

En 1942, après avoir dirigé au sein de la Gestapo[3] le service de contre-espionnage, il commanda la section espionnage du RSHA[4], le SD-Ausland.

C’est à cette époque qu’il démantela l’Orchestre rouge[5] et organisa la sélection des membres des Einsatzgruppen[6] responsables des massacres derrière les lignes du front de l’Est (environ 3,5 millions de Juifs et commissaires politiques soviétiques furent sommairement fusillés avec leurs femmes et leurs enfants).

Le 21 juin 1944, il fut promu aux grades de SS-Brigadeführer et de Generalmajor de la police, puis, en novembre de la même année, de Generalmajor des Waffen SS.

À la chute du régime nazi, il se trouvait en Suède où il tenta de négocier sous la houlette de Himmler un armistice avec les Alliés.

Après sa reddition spontanée, il fut transféré au camp 020 en Angleterre le 16 juin 1945. Il y négocia son sort contre des renseignements classés ultra-confidentiels et, le 4 janvier 1946, lors du procès de Nuremberg, il témoigna contre les dignitaires du régime nazi, notamment son supérieur Ernst Kaltenbrunner[7].

Le procès terminé, il fut de nouveau transféré à Londres, car il souffrait de calculs biliaires. Jusqu’en 1948, il fut questionné et soigné par les Britanniques, puis remis au printemps 1949 à la justice internationale de Nuremberg pour le procès des Ministères[8].

Il fut condamné pour appartenance à une organisation criminelle et crimes de guerre dans le cadre de l’opération Zeppelin[9], à une peine de six ans de détention, eu égard à son état de santé et à sa collaboration judiciaire.

Il fut libéré en 1951 pour raisons médicales, et passa secrètement en Suisse où il s’attela dans un hôpital à la rédaction de ses mémoires dont il confia le texte à son épouse.

Il est mort d’un cancer le 20 mars 1952, à la clinique Fornaca de Turin.

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur :

« Les Mémoires du Brigadeführer-SS Walter Schellenberg, dernier chef du renseignement extérieur de Hitler, constituent un témoignage de première main sur les arcanes les plus méconnus du régime nazi. Ouvrant les sinistres portes du service de renseignement de la SS, ils nous guident au travers des actions clandestines et des coups de main les plus spectaculaires fomentés par les dirigeants du IIIReich, partout dans le monde, en amont et durant la guerre.

Ils analysent la politique étrangère nazie, ses secrets et ses soubresauts au fil du temps : l’invasion de la Pologne, l’enlèvement manqué du duc de Windsor, la disparition de Rudolf Hess, l’assassinat de Heydrich, l’affaire Cicéron[10], les négociations d’Himmler avec le comte Bernadotte, etc. Enfin, ils offrent un éclairage sur les principaux hiérarques du Reich et sur le fonctionnement interne du régime, véritable nid de scorpions au sein duquel se combattent hommes et institutions.

Mais ces Mémoires sont aussi la voix d’un homme aussi mystérieux que le service qu’il a dirigé. Protégé de Heydrich, favori d’Himmler, Schellenberg fait aussi partie de ceux qui, plus tôt que les autres, ont compris la faillite programmée du régime hitlérien. Dès lors, désireux de sauver ce qui pouvait l’être, il a tenté de négocier une paix de compromis avec les puissances occidentales. De cette lucidité prématurée, il a tiré une justification face à l’Histoire, au travers de ce texte posthume qui sait admirablement jouer des demi-vérités. »

Et des mensonges par omission…

PÉTRONE

Le chef du contre-espionnage nazi parle par Walter Schellenberg, texte traduit de l’allemand par Edith Vincent, préface de Clément Tibère, Paris, Éditions Perrin, collection « Tempus », janvier 2022 [1957, 2019], 618 pp. en noir et blanc au format 11 x 17,8 cm sous couverture brochée en couleurs, 11 € (prix France)


[1] Mikhaïl Toukhatchevski était un militaire russe puis soviétique (16 février 1893 – 12 juin 1937). Chef de l’État-Major général de 1924 à 1928, puis commandant de la région militaire de Leningrad, il fut nommé en 1931 ministre adjoint de la Défense nationale et Chef des armements de l’Armée rouge, puis élevé au rang de maréchal en 1935, à l’âge de 42 ans., avant d’être éliminé deux ans plus tard. Staline, désireux de s’entendre avec Hitler, prit la décision de liquider Toukhatchevski quand, devant le Soviet suprême, celui-ci avait publiquement critiqué l’Allemagne et le danger qu’elle représentait. Toukhatchevski était en faveur d’une guerre préventive au vu du réarmement allemand. Conscient du prestige de sa cible, Staline procède prudemment. Un dossier de trahison fut alors monté avec Nikolaï Iejov (1895-1940), chef du NKVD (l’organisme d’État dont relevait la police politique soviétique) via la contribution du contre-espionnage (SD) nazi dirigé par Reinhard Heydrich, allié pour l’occasion. Son principe fut le suivant : Staline voulait se débarrasser de Toukhatchevski qui représentait un danger pour son pouvoir absolu ; Hitler voulait la même chose pour priver l’Armée rouge de son dirigeant le plus brillant. Une fausse information selon laquelle Toukhatchevski complotait fut alors transmise aux Allemands par Iejov qui manipulait un Russe blanc retourné ; ceux-ci l’amplifièrent en fabriquant des faux et les firent passer aux Tchèques qui les relayèrent, en toute bonne foi, aux Soviétiques. Pour parachever leur œuvre, les services nazis firent passer aussi une information par Paris.

[2] Le salon Kitty était une maison close de haut standing à Berlin, utilisée par le service de renseignement des nazis comme centre d’espionnage pendant la Seconde Guerre mondiale. Créé au début des années 1930, il fut repris en 1939 par le général SS Reinhard Heydrich et par son subordonné, Walter Schellenberg. Il fut géré par la propriétaire fondatrice, Kitty Schmidt, tout au long de son existence. Sa fonction consistait à attirer les dignitaires allemands de haut rang et les visiteurs étrangers, ainsi que les diplomates, en les séduisant au moyen d’alcool et de femmes, afin qu’ils divulguent des secrets ou qu’ils expriment leur avis sur les sujets et les personnalités du régime nazi. La destruction du bâtiment abritant le salon lors d’un raid aérien en 1942 éteignit aussitôt ses activités.

[3] La Gestapo, acronyme tiré de l’allemand Geheime Staatspolizei signifiant « Police secrète d’État », était la police politique du Troisième Reich. Fondée en Prusse par Hermann Göring (1893-1946) et intégrée à partir de 1939 au RSHA de Reinhard Heydrich (1904-1942), elle étendit son pouvoir, sous l’impulsion du Reichsführer-SS Heinrich Himmler (1900-1945), à l’ensemble du Reich et des territoires envahis par ce dernier au cours de la Seconde Guerre mondiale.

[4] Le Reichssicherheitshauptamt (Office central de la sûreté du Reich, en abrégé RSHA) était une organisation créée le 27 septembre 1939 par Heinrich Himmler en fusionnant le Sicherheitsdienst (SD) et la Sicherheitspolizei (Sipo) afin d’accroître l’efficacité de la lutte contre les « ennemis du Parti et de l’État national-socialiste ainsi que contre toutes les forces de désagrégation dirigées contre eux ».  Le RSHA, en tant que l’un des douze principaux offices centraux de la SS, représentait, avec ses presque 3 000 employés, la principale administration centrale qui dirigeait l’essentiel des organes de répression allemands au temps du national-socialisme.

[5] La dénomination d’Orchestre rouge (die Rote Kapelle) fut donnée par la Gestapo à un ensemble de réseaux d’espionnage à Berlin, Paris et Bruxelles, en contact avec l’Union soviétique, qui ont résisté au nazisme durant la Seconde Guerre mondiale.

[6] Les Einsatzgruppen (en français : « groupes d’intervention ») étaient les unités mobiles d’extermination du IIIReich allemand. Créées dès l’Anschluss (l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie en 1938), ces unités de police politique militarisées furent chargées, à partir de l’invasion de la Pologne en septembre 1939, de l’assassinat systématique des opposants réels ou supposés au régime nazi, et tout particulièrement des Juifs. Les Einsatzgruppen ont été l’instrument de ce qu’on nomme également la « Shoah par balles ».

[7] Ernst Kaltenbrunner, né le 4 octobre 1903 à Ried im Innkreis en Autriche et exécuté le 16 octobre 1946 à Nuremberg, était un haut fonctionnaire autrichien de la SS et un criminel de guerre. D’abord nazi dans la clandestinité en tant que citoyen autrichien, il milita pour l’Anschluss. Ensuite, il fut officiellement nommé chef de la SS, aux niveaux politique et policier, pour son ancien pays, devenu une région allemande. Il exerça ces fonctions de 1938 à début 1943. À partir de janvier 1943, en dirigeant le RSHA à la suite de Reinhard Heydrich, il fut l’un des principaux responsables du système policier nazi et l’un des maillons de la Shoah, qui avait pris une très grande ampleur depuis l’été 1941. Au procès de Nuremberg, il fut condamné à mort par pendaison pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité et la peine est exécutée.

[8] Le procès des Ministères (officiellement : The United States of America vs. Ernst von Weizsäcker, et al.) est le onzième des douze procès pour crimes de guerre organisés par les autorités américaines dans leur zone d’occupation en Allemagne à Nuremberg après la Seconde Guerre mondiale. Ces douze procès se sont tenus devant un tribunal militaire américain et non devant le tribunal militaire international, mais dans les mêmes salles. Ils sont connus sous le nom de « second procès de Nuremberg », ou plus formellement « procès des criminels de guerre devant le tribunal militaire de Nuremberg ».

[9] L’opération Zeppelin était une opération lancée en septembre 1944. Elle avait pour but l’assassinat de Staline par l’infiltration jusqu’au Kremlin de deux agents allemands. Mais ceux-ci furent démasqués et arrêtés à un Moscou.

[10] Cicéron est le nom de code attribué par les Allemands à Elyesa Bazna (1904-1970), un membre du personnel de l’ambassade de Grande-Bretagne en Turquie, pays neutre durant la Seconde Guerre mondiale. Cet Albanais de naissance, sujet turc, valet de chambre personnel de l’ambassadeur, vendit sous forme de pellicules photo à l’ambassade d’Allemagne à Ankara, durant plusieurs mois en 1943 et 1944, des documents d’un intérêt exceptionnel dont l’exploitation aurait (peut-être) pu modifier en faveur des Allemands le cours de la guerre. Bazna fut payé à son insu en fausse monnaie, ce qui lui valut quelques démêlés avec la justice, après la guerre. (Sources : Wikipédia)

Date de publication
mercredi 2 mars 2022
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