Le Grand Charles et le Petit-Clamart

« Par les diableries d’un souverain outragé, par sa machination judiciaire (…), un homme est mort qui faisait honneur à son pays. »

Telle est la trame de ce roman énigmatique qui, sous la facture d’une épopée, d’hommes et de lieux masqués, trace les prémisses et le dénouement tragique de l’« Opération Charlotte Corday ».

« L’oubli est la grande vérité de l’Histoire: sa trappe la plus cruelle »

Héros de la Guerre, visionnaire hors pair, Jean de Grandberger s’est retiré de la scène politique, attendant aux côtés de sa chère Charlotte (-Yvonne) d’être appelé à reprendre les rênes du Vieux Pays.

Face à lui, Paul Donadieu, jeune officier et admirateur de la première heure du grand homme, verra le héros du « Je vous ai compris » renoncer à leurs communes convictions en matière d’indépendance de la Terre du Sud.

« Car Jean de Grandberger restait discret. Il ne pensait pas comme on croyait, mais se gardait bien de détromper ceux qui s’illusionnaient. De ses nouvelles idées, le général n’écrivait rien. Le secret était une manie qu’il avait portée au rang de décision politique. »

« Déchirement », « Malentendu », « Conjuration » et « Simulacre » structurent le parcours de Paul Donadieu, qui fomentera un attentat raté contre le chef d’État et endurera le simulacre d’un procès dont l’issue est écrite d’avance : la peine de mort.

Tout déconcertant, (et ardu) que soit le procédé de déguisement des protagonistes –le lecteur n’a de soulagement que de saisir la réalité évoquée– il faut admettre que l’auteure donne ainsi du relief à ses personnages, sondant leurs âmes et leurs motivations avec une force d’introspection qu’elle n’aurait pu se permettre en désignant leur vraie identité. La figure mythique d’un certain grand Général s’en voit passablement écornée. Cela aussi, il fallait l’oser… : « Le parjure, la trahison du vieux général étaient manifestes ».

Réhabilitation d’un personnage[1] sommairement expédié par l’Histoire, Passé sous silence d’Alice Ferney renoue avec le registre de L’élégance des veuves et de Grâce et dénuement, et une écriture « impressive », en spirale, faite de touches juxtaposées, sans cesse réajustées.

Un livre qui fera couler de l’encre là où l’Histoire a répandu trop de sang.

APOLLINIA

Passé sous silence par Alice Ferney, Arles, Actes Sud, août 2010, 204 pp. en noir et blanc au format 11,5 x 21,7 cm sous couverture brochée en couleurs, 18 € (prix France)


[1] Le colonel Jean-Marie Bastien-Thiry.

Date de publication
mardi 18 janvier 2011
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