« Il est prudent de ne pas se fier à la bonté des Russes. » (Curzio Malaparte)

Curt Erich Suckert alias Curzio Malaparte[1], né le 9 juin 1898 à Prato, en Toscane, et mort le 19 juillet 1957 à Rome, était un écrivain, cinéaste, journaliste, correspondant de guerre et diplomate italien.

Interrompant de brillantes études classiques et en dépit de son jeune âge, il s’engagea, dès 1914, dans l’armée française au sein de la Légion garibaldienne[2].

Une fois celle-ci dissoute, il retourna en Italie, participa aux combats dans les régiments alpins, devint officier, avant de revenir en France où il fut gazé lors de la bataille du Chemin des Dames, avant d’être décoré de la croix de guerre avec palme (1914-1918).

Il adhéra au parti fasciste en septembre 1922, fit partie des signataires du « Manifeste des intellectuels fascistes » (1925) et fut pendant quelques temps un théoricien du fascisme qu’il concevait comme un syndicalisme politique.

En 1928, il devint directeur de la revue L’Italia letteraria et, en 1929, rédacteur en chef de La Stampa de Turin.

Les changements politiques opérés par Mussolini à partir de 1925 commencèrent à décevoir les espoirs de révolution sociale qui avaient initialement attiré Malaparte vers le fascisme.

Mais ses relations avec le régime se détériorèrent réellement lorsque, se réclamant du fascisme révolutionnaire de 1919, il dénonça les dérives réactionnaires du Duce, notamment dans Monsieur Caméléon (1929). Il y réprouvait l’embourgeoisement du régime ainsi que la signature des Accords du Latran avec le Saint-Siège, et moquait le caractère égocentrique de Mussolini.

Dans son livre Technique du coup d’État (1931) qu’il publia en France chez Grasset, il dénonça la montée au pouvoir d’Adolf Hitler, et prédit l’élimination inéluctable des SA comme force politique autonome tout en anticipant les modalités du massacre.

Cet ouvrage lui valut son renvoi de La Stampa.

Il se vit ensuite exclure du Parti national fasciste (octobre 1933) pour « activités antifascistes à l’étranger » et confiner aux îles Lipari, en résidence surveillée, pour une durée annoncée de cinq ans avant d’être remis en liberté conditionnelle en juin 1935.

Au début de la Seconde Guerre mondiale, il fut d’abord envoyé en reportage par La Stampa qui l’avait alors réintégré en son sein, puis comme correspondant de guerre sur le Front de l’Est pour le Corriere della Sera en 1941, mais la censure nazie veillait et la teneur polémique de ses articles le fit arrêter et assigner à résidence par les Allemands.

À partir de cette époque, Malaparte rompit définitivement avec le fascisme et ne revint en Italie qu’à la chute de Mussolini (juillet 1943).

Il participa alors aux combats pour la libération de son pays au sein d’une division de partisans.

De novembre 1943 à mars 1946, il occupa les fonctions d’officier de liaison rattaché au Haut Commandement américain en Italie.

À partir de 1945, Malaparte tenta de se rapprocher du Parti communiste et, en 1957, il mourut d’un cancer après un voyage en Chine communiste.

Il est l’un des prosateurs les plus importants de la littérature italienne du XXsiècle, surtout connu pour deux ouvrages majeurs : Kaputt[3] (1944) et La Peau[4] (1949)[5].

Les Éditions Grasset ressortent en ce moment son ouvrage intitulé Le Bonhomme Lénine (1932), une biographie pour le moins originale et brillamment sarcastique du père de la Révolution soviétique débarrassé du masque de la propagande communiste et des oripeaux de la légende urbaine stalinienne, mais aussi des cris d’orfraie de l’Occident apeuré.

Présentation par l’éditeur :

« Le Bonhomme Lénine, paru en 1932, huit ans après la mort du créateur de l’URSS, est la première biographie critique du grand révolutionnaire soviétique. Fruit d’une enquête minutieuse, cet ouvrage demeure une source majeure pour appréhender la vie et la personnalité de Lénine (1870-1924).

Malaparte déconstruit, avant le mot, le mythe léniniste. En seulement quelques années, les autorités soviétiques et la presse des pays capitalistes ont fait de Lénine un saint laïque pour les uns, un Gengis Kahn prolétarien pour les autres.

Malaparte entend détromper tout le monde et retrouver le Lénine authentique : le stratège et le politicien, l’homme et le partisan.

Nous admirons son intelligence stratégique, nous déplorons ses petitesses, nous le voyons dans la vie de tous les jours, passionné de musique, de balades à bicyclette et de littérature.

Dans un style flamboyant, le grand écrivain italien nous fait vivre l’épopée du “petit-bourgeois” Lénine, de ses années d’étudiant sans le sou à ses triomphes machiavéliques, de mutineries en prison, de congrès en révolution, jusqu’au pouvoir suprême.

Cet ouvrage d’une impeccable précision historique retrace avec brio l’une des périodes les plus marquantes de l’histoire politique moderne.

Tout en conservant un impitoyable regard critique, Malaparte rend son humanité à Lénine, ainsi qu’à toute la galaxie des révolutionnaires de son entourage, que l’histoire officielle avait momifiés dans le respect[6]. »

Le tout, on s’en doutait, rédigé à la sulfateuse…

Extrait (et portrait) :

Chez ce jeune homme de vingt-quatre ans […], chez cette espèce d’étudiant qui avait l’allure d’un petit employé, trapu et voûté, avec un vaste front jauni par la calvitie, un visage ridé et semé de taches de rousseur, une barbe rousse embroussaillée, chez ce jeune homme déjà vieux, aux mains courtes, blanches et grassouillettes qui semblaient, tandis qu’il parlait, extraire les mots de ses poches et les modeler fébrilement, de leurs doigts désossés, comme des boulettes de pain, personne n’aurait pu voir le Lénine qu’on a inventé plus tard, ce révolutionnaire hanté par le souvenir du meurtre de son frère[7], cet homme décidé à l’action et prêt à payer de sa vie la liberté du peuple.

Un récit balzacien !

PÉTRONE

Le Bonhomme Lénine par Curzio Malaparte, ouvrage traduit de l’italien par Juliette Bertrand, Paris, Éditions Grasset, collection « Les Cahiers Rouges », janvier 2024 [1932], 297 pp. en noir et blanc au format 12 x 19 cm sous couverture brochée en couleurs, 10,50 € (prix France)


[1] Il prit ce pseudonymeaprès avoir lu un pamphlet de 1869 intitulé I Malaparte e i Bonaparte. Il disait, à ce propos : « Napoléon s’appelait Bonaparte, et il a mal fini ; je m’appelle Malaparte et je finirai bien ».

[2] Le 4e régiment de marche du 1er étranger, appelé couramment « Légion garibaldienne », était une unité militaire française de la Légion étrangère qui existan de façon éphémère de 1914 à 1915. Ses membres étaient tous des Italiens, et lorsque leur pays entra en guerre contre l’Empire austro-hongrois le 24 mai 1915, ils poursuivirent le combat sur le front italien.

[3] Kaputt est un roman autobiographique dans lequel l’auteur raconte son expérience de correspondant de guerre sur le front de l’Est durant la Seconde Guerre mondiale. Son récit constitue un témoignage de guerre cruel et parfois morbide.

[4] La Peau est un roman autobiographique qui traite de l’Italie, et en particulier de la ville de Naples, pendant les combats de la Seconde Guerre mondiale et à l’occasion de l’éruption du Vésuve en 1944.

[5] https://fr.wikipedia.org/wiki/Curzio_Malaparte

[6] https://www.grasset.fr/livre/le-bonhomme-lenine-9782246837183/

[7] Malaparte soutient que ce n’était nullement le cas.

Date de publication
lundi 18 mars 2024
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