Champs d’horreur…

Déjà connu pour un fameux canular [1], Roland Lécavelé, dit Roland Dorgelès (Amiens,1885-Paris, 1973), un jeune journaliste montmartrois, s’engage dans l’infanterie en 1914, expérience de l’horreur absolue qu’il met en scène en 1919 dans Les Croix de bois, un texte magistral couronné du prix Fémina. Ce roman hallucinant, qui raconte la vie – si on peut dire… – dans les tranchées de la Grande Guerre (et qui est le pendant français d’À l’ouest, rien de nouveau de l’écrivain allemand Erich-Maria Remarque), n’a pas pris une ride et se doit d’être remis en avant à l’occasion des fêtes commémoratives de 2014, tout comme d’ailleurs les nouvelles du Cabaret de la Belle Femme (1919) et le « poème d’épouvante » qu’est Le Réveil des morts (1923).

Mais Dorgelès n’en resta pas là.

En 1939, trop âgé pour reprendre du service actif, il se fait observateur de cet étrange intermède qu’il baptisera plus tard La Drôle de guerre (1957), jusqu’à la débâcle et la défaite de 1940 qu’il avait laissé entrevoir dans Retour au front (1940), une publication largement censurée, avant de rédiger Carte d’identité, le récit sec et glacial d’un épisode de la barbarie nazie dont il avait été le témoin.

Cet auteur prolixe (de 55 ouvrages et de très nombreux articles) qui suscita bien des polémiques fut élu président de l’Académie Goncourt en 1954, fonction qu’il occupa jusqu’à sa mort.

Les Éditions Omnibus à Paris ont rassemblé les six textes dont nous venons de parler dans D’une guerre à l’autre, un fort volume préfacé par l’éminent historien Jean-Pierre Rioux qui remet ces ouvrages en perspective avec une belle intelligence de la personnalité et des idées parfois contradictoires de leur auteur.

« Krieg, gross malheur ! » s’exclamaient les héros de Remarque.

Qui avaient ô combien raison…

PÉTRONE

D’une guerre à l’autre (Les Croix de bois, Le Cabaret de la Belle Femme, Le Réveil des morts, La Drôle de guerre, Retour au front, Carte d’identité) par Roland Dorgelès, présentation de Jean-Pierre Rioux, Paris, Éditions Omnibus, janvier 2013, 992 pp. en noir et blanc au format 13,4 x 19,8 cm sous couverture brochée en couleurs et à rabats, 28 € (prix France)


[1] En 1910, avec ses amis du cabaret du Lapin Agile, il fomente une énorme fumisterie à l’occasion du Salon des Indépendants où il fait passer un tableau peint par un âne et intitulé Et le soleil s’endormit sur l’Adriatique pour une œuvre d’un jeune Génois surdoué nommé Jochim Raphaël Boronali. Ce nom était l’anagramme d’Aliboron, l’âne de Buridan, et le tableau retint l’attention de la critique, voire son enthousiasme…

Date de publication
lundi 25 février 2013
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