À la table de l’histoire…

Président de l’académie des gastronomes depuis décembre 2012, Jean Vitaux, né en 1951, est médecin gastro-entérologue. Membre de nombreuses associations dont l’Académie des Gastronomes et le Club des Cent, il a publié récemment aux Presses universitaires de France à Paris un passionnant ouvrage intitulé Le dessous des plats dans lequel sont reproduites nombre de ses chroniques mensuelles d’histoire de la gastronomie lues entre 2008 et 2012 sur Canal Académie, la chaîne radio et le site Internet de l’Institut de France [1].

L’auteur y fournit de nombreuses informations l’origine des produits que nous consommons, sur leur valeur symbolique, sur l’histoire des plats et des pratiques de table, et rappelle l’influence des grands cuisiniers et des grands gastronomes sur nos pratiques quotidiennes ou festives.

Qui connaît l’origine des fraises modernes ? Comment le maquereau est-il devenu le poisson d’avril ? Quel est le rapport entre les saturnales romaines et le gâteau des rois ? Qui sont les mendiants ? Qui sait que la soupe à la tortue était la tête de veau ? Et que Rabelais est le premier à citer le caviar ? Ou que Nostradamus a écrit un Traité des confitures ?

Ce livre répond à ces questions et à bien d’autres, sans cesser de mettre en exergue l’aphorisme de Brillat-Savarin : « Les animaux se repaissent, l’homme mange, seul l’homme de qualité sait manger », car manger est un acte culturel.

Et Jean Vitaux est un homme à l’évidence très cultivé !

PÉTRONE

Le dessous des plats Chroniques gourmandes par Jean Vitaux, Paris, Éditions des Presses universitaire de France, avril 2013, 229 pp. en noir et blanc au format 15 x 21,7 cm sous couverture brochée en quadrichromie, 19 € (prix France)

Pour vous, nous avons recopié dans cet ouvrage érudit les lignes pittoresques suivantes :

UN PETIT MÉTIER DE BOUCHE : FABRICANT DE CRÊTES DE COQ

(10 août 2008)

Le XIXe siècle fut le siècle du vol-au -vent et des bouchées à la reine. La formule du vol-au-vent a été détaillée par Antonin Carême, et la bouchée à la reine aurait été inventée pour Marie Leszczyńska, reine de France, épouse de Louis XV. La farce traditionnelle de ces délicats feuilletages était faite de ris de veau (ou d’agneau, dits béatilles), de petites quenelles et de blancs de volaille, d’abats (rognons et testicules de volailles) et de crêtes de coq, nappés de sauce financière ou suprême.

La mode était telle que les crêtes de coq étaient très recherchées. Privat d’Anglemont dans Paris anecdote, préfacé par le grand gastronome et poète Charles Monselet, nous a laissé l’extraordinaire histoire de M. Lecoq qui en fabriquait. Le père Lecoq habitait dans une cour du faubourg Saint-Antoine où il existait une machine à vapeur reliée à un arbre, de telle sorte que chaque locataire pouvait y adapter une machine. M. Lecoq, constatant le manque de crêtes de coq, et leurs imperfections naturelles, décida d’y remédier. Il prit des palais de veau, de bœuf ou de mouton qu’il faisait longuement bouillir, puis qu’il passait sous le balancier de la machine pour créer de fausses crêtes de coq à l’emporte-pièce. Si les crêtes de coq ainsi réalisées étaient plus régulières que les crêtes naturelles des coqs, elles ne présentaient qu’un seul défaut : elles n’avaient des tubercules (ou papilles) que d’un seul côté, contrairement aux vraies crêtes de coq.

Ce « bienfaiteur de l’humanité », comme il se qualifiait, estimait que chaque matin, il entrait à Paris 25 000 à 30 000 poulets, répartis entre les tables bourgeoises et les restaurateurs, pâtissiers et rôtisseurs.

Il ne restait plus encore que 10 000 à 12 000 crêtes de coq disponibles pour les vol-au-vent, timbales, coquilles et autres préparations de cet aliment alors si recherché, peut-être en raison des propriétés aphrodisiaques qu’on lui prêtait. M. Lecoq estimait donc qu’il rendait service en fabriquant la quantité de crêtes de coq nécessaire. Les vendant 15 centimes la douzaine aux restaurateurs et 20 centimes aux cuisinières bourgeoises, il fit fortune.

Il existait de nombreux petits métiers, comme celui exercé par le père Montagatus qui était chiffonnier. Il achetait les peaux de lapins et, plus curieusement, les têtes de ces animaux. En effet, sa principale occupation était la chasse au chat. Il disposait de ratiers, chiens qui chassent les chats, et vendait ces pauvres bêtes avec la tête d’un lapin soigneusement bouillie ; et tout le monde n’y voyait que du feu. Il préfigurait les habitudes alimentaires du siège de Paris en 1870, où l’on mangea les chats et les rats, bien plus que les chiens et les chevaux.

Cette époque était bien pittoresque, puisque l’on élevait aussi des chèvres dans les soupentes pour fournir du lait à l’Assistance publique. M. Jacques Simon élevait des chèvres au 5e étage, rue d’Écosse, près du Collège de France, pour nourrir les nouveau-nés dont les mères manquaient de lait.

Paris était bien exotique en ces temps.


[1] http://www.canalacademie.com/idr132-Histoire-et-Gastronomie-la-.html

Date de publication
dimanche 23 juin 2013
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