Justice (littéraire) est enfin faite…

Alors que la France ne s’est pas distinguée en refusant de commémorer officiellement en 2011 le cinquantenaire de la mort de Louis-Ferdinand Céline, la Fédération Wallonie-Bruxelles s’honore d’avoir accueilli [1] Handji en 2014 dans sa prestigieuse collection « Espace Nord », car il s’agit du meilleur roman, paru en 1931 chez le Liégeois Robert Denoël, d’un (très) grand écrivain belge longuement réprouvé, par ailleurs héros de 14-18, Robert Poulet (1893-1989).

Robert Poulet (ca 1931)

Cet admirateur de la pensée de Maurras (qui eut avant la guerre une aura comparable à celle de Sartre plus tard) a indûment subi les foudres de la répression de 1944-45.

On le condamna à mort sous un prétexte fallacieux [2], en réalité pour avoir été jusqu’en 1942 le rédacteur en chef du quotidien collaborationniste Le Nouveau Journal, en feignant d’ignorer qu’il avait exercé cette charge à la demande expresse du roi Léopold III, du cardinal Van Roey et même de membres du gouvernement Pierlot, et qu’il défendit dans ses colonnes la politique de présence préconisée, entre autres et avant les hostilités, par Paul-Henry Spaak (les souvenirs de l’implacable occupation allemande de 1914-18 demeuraient alors cuisants).

Robert Poulet (ca 1945)

Élargi en 1951 avec de vagues excuses et recueilli à Paris par un résistant belge notoire, fondateur du magazine Pourquoi Pas ?, Robert Poulet avait été sans conteste l’un des plus brillants romanciers de l’entre-deux-guerres, célébré par la critique parisienne [3] et par ses pairs tant dans notre pays que dans l’Hexagone.

Il faut dire que notre homme avait le nez creux : découvreur du Voyage au bout de la nuit qu’il fit éditer par Denoël (avant de lancer plus tard bien d’autres auteurs de renom comme Michel Tournier, Alphonse Boudard ou Camara Laye [4]), il fut avec Franz Hellens l’un des initiateurs du réalisme magique qui a fait la renommée de la production littéraire belge et qui la marque encore de nos jours.

Handji est un roman singulier : il met en scène deux officiers autrichiens stationnés au bord des marais du Pripet durant la Première Guerre mondiale, un endroit où, comme dans Le Désert des Tartares de Buzzati, il ne se passe rien pendant des mois. Pour tromper l’ennui, ils imaginent que ce qui leur manque le plus, une femme – qu’ils appellent Handji –, les a rejoints et qu’ils la cachent. Au fil du temps, cette jeune fille imaginaire prendra corps à leurs yeux, au point qu’ils mourront pour la défendre quand les Russes attaqueront…

Un véritable tour de force littéraire qui, quoi que l’on puisse penser des errements postérieurs, réels ou supposés, de son auteur, lui vaut incontestablement une place de choix au panthéon des lettres !

PÉTRONE

Handji par Robert Poulet, Bruxelles, Éditions Les Impressions nouvelles, collection « Espace Nord » propriété de la Fédération Wallonie-Bruxelles, postface de Benoît Denis, janvier 2014, 367 pp en noir et blanc au format 12 x 18,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 9,50 €.


[1] À l’instigation notamment de Marc Quaghebeur, patron des Archives et musée de la littérature, et du professeur Paul Aron de l’ULB ainsi que de Benoît Denis de l’université de Liège qui consacre à l’ouvrage une passionnante postface.

[2] Pour avoir, par un article (présenté sous une forme caviardée au procès), « fourni des hommes à l’ennemi », en l’occurrence à la SS-Wallonie. Or, comme la cour militaire n’en trouva aucun, alors qu’un témoin de taille avait expliqué qu’il avait renoncé à s’engager chez les séides de Degrelle sur le conseil de Poulet, le tribunal « démocratique » et léopoldiste – le comte Capelle, secrétaire du roi, allant  jusqu’à produire un faux témoignage en justice – rendit une sentence de mort en affirmant « qu’il devait en exister » ! Si l’on ajoute à cette iniquité le fait que sa fille unique, Françoise, s’est suicidée en 1965 à la suite de la condamnation de son père, on comprend mieux pourquoi Robert Poulet, qui dut largement son salut à l’intervention de son épouse auprès du Régent, refusa jusqu’à sa mort de renoncer officiellement à ses idées politiques « d’extrême droite », alors qu’en réalité il s’en était largement départi, nous pouvons l’attester, en dépit de prises de position bravaches prises sur le tard en faveur de Faurisson et Cie. Il conserva par ailleurs une rancune tenace pour Léopold III qui « l’avait trahi ».

[3] L’aristarque Edmond Jaloux, dans Le Temps – l’ancêtre du Monde – cria même au génie.

[4] Et de participer à la publication des mémoires de Charles de Gaulle, comme nous le confia l’éditeur de ce dernier, Marcel Jullian.

Date de publication
samedi 8 février 2014
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