« Qu’est-ce que la santé ? C’est du chocolat ! » (Anthelme Brillat-Savarin)

Historien de la littérature italienne, essayiste, professeur à l’université de Bologne, Piero Camporesi (1926-1997) a publié une série d’essais majeurs sur l’imaginaire de l’époque moderne : La Chair impassible ; L’Officine des sens : une anthropologie baroque ; La Sève de la vie : symbolisme et magie du sang ; Le Pain sauvage : l’imaginaire de la faim, de la Renaissance au XVIIe siècle ; Les Baumes de l’amour ou encore Les Belles contrées : naissance du paysage italien.

On lui doit aussi, paru pour sa version française chez Tallandier à Paris, dans l’excellente collection « Texto » managée par Jean-Claude Zylberstein, un passionnant essai intitulé Le Goût du chocolat – L’art de vivre au siècle des Lumières qui se penche sur différentes thématiques révélatrices de la profonde modification des mentalités ainsi que des us et coutumes en France et en Italie à l’époque des Montesquieu, Voltaire, Rousseau et autres Madame de Pompadour ou Casanova : l’apparition d’un nouveau savoir-vivre, la tenue de réunions et de salons nocturnes plutôt que diurnes, une révolution dans les cuisines et chez les coiffeurs, l’abandon progressif de l’art baroque pour des formes plus gracieuses et légères, l’émergence de gourmandises nouvelles (parmi lesquelles le « breuvage indien », à savoir le chocolat) ou l’intérêt pour des fruits et des légumes venus de loin.

Voici ce que dit l’éditeur de cet ouvrage joyeusement savant :

« Ce chapitre gourmand de l’histoire des mentalités jette un regard friand sur les arts de la table et les nouvelles pratiques culinaires de l’Europe du XVIIIe siècle. Piero Camporesi y entraîne le lecteur dans une promenade a travers le paysage sensuel de la cuisine des Lumières. L’exotisme et la légèreté succèdent a la barbarie des tablées graisseuses afin d’exalter la finesse des corps. Sous sa plume, la lumière douce des chandeliers anime le chatoiement des couleurs et le ballet des mets. Tel un voyageur gastronome, il présente a travers une myriade de textes inédits les tables modernes et leurs délicieux ordres géométriques. Le raffinement et la sensualité des sociétés galantes s’incarnent dans ce goût du chocolat, auquel on prête les vertus les plus fantaisistes. »

Ce qui n’empêchait nullement la perfidie, comme le montre la citation suivante, particulièrement rosse :

L’abbé Dubos, chanoine de Beauvais, vécut familièrement avec Fontenelle, et ils se disaient amis. Un jour, le chanoine déjeunait en tête à tête avec l’auteur des mondes, et on leur présenta une botte d’asperges.

L’un les voulait assaisonnées d’huile, l’autre d’une vinaigrette. Les deux Socrate (car la sagesse n’exclut point la gourmandise) convinrent de les partager par moitié au profit de chacun. Avant que les deux plats ne fussent préparés, l’abbé Dubos fut frappé d’apoplexie. La domesticité fut en profond émoi. Fontenelle, le créateur des idées fines, fit grande preuve de zèle et courut en haut de l’escalier pour crier, afin que le cuisinier l’entendît : « Toutes les asperges à la vinaigrette, toutes les asperges à la vinaigrette ! » Quand le cadavre eut disparu, Fontenelle se mit à table et mangea toutes les asperges, prouvant par les faits que même l’apoplexie était bonne à quelque chose…

Une autre façon, pour d’aucuns, d’être chocolat !

PÉTRONE

Le Goût du chocolat – L’art de vivre au siècle des Lumières par Piero Camporesi, traduit de l’italien par Myriem Bouzaher, Paris, Éditions Tallandier, juin 2008, collection « Texto » dirigée par Jean-Claude Zylberstein, 267 pp. en noir et blanc au format12 x 18 cm  sous couverture brochée en couleurs, 8,11 € (prix France)

Date de publication
dimanche 22 juin 2014
Entrez un mot clef :