Vive la bagnole !

Sous-titré Mémoires d’une navetteuse, le désopilant recueil de posts quotidiens mis sur les réseaux sociaux par Nancy Vilbajo quand elle fut usagère – trois longues et pénibles années durant – de la Société nationale des Chemins de fer belges (qui, à l’instar de toutes les administrations, considère le mot « client » comme une ineptie sociale, voire une grossièreté libérale, c’est bien connu…), SNCB mon amour paru aux Éditions du Basson à Marcinelle détaille par le menu la vie de ceux qui, chaque jour dans notre pays, s’en vont au boulot et en reviennent dans l’invention de George Stephenson [1].

Un festival de trains brinquebalants, en retard, annulés, en grève, en panne, roulant au ralenti parce qu’il pleut, parce qu’il gèle, parce qu’il y a du vent, parce qu’il y a du brouillard, parce qu’il y a des feuilles mortes, parce qu’il fait beau ou tout bonnement sans raison…

Et une galerie de portraits de préposés arrogants et incompétents, de chefs de gare ahuris, d’accompagnateurs de train tonitruants, voire ivres, de voix off inaudibles ou incompréhensibles, mais aussi d’usagers (pour eux, c’est vrai, le mot « client » n’a guère de sens…) hagards, mal lavés, mal réveillés, somnolents, gémissants, péteurs, ronfleurs, renifleurs, baveux, dont certains se coupent les ongles, se curent les oreilles, dévorent de grand matin des sandwiches au salami à l’ail, claironnent leur vie intime au téléphone ou font savoir à l’assemblée que leur partenaire malade a « déjanté les chiottes » du train de 7h56.

Sans oublier l’odeur, les tags, les graffitis, les détritus, les vitres, les sièges et les couloirs sales, les attentes aux guichets, les bousculades, les voyages debout, les pieds écrasés, la promiscuité, les gosses casse-pieds et mal élevés, les ados grossiers, les pickpockets,

Un zoo humain dont les bobos écolos n’ont pas idée !

PÉTRONE

SNCB mon amour – Mémoires d’une navetteuse par Nancy Vilbajo, illustrations de François Bouton, Marcinelle, Éditions du Basson, février 2015, 117 pp. en quadrichromie au format 14 x 20,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 18 €

Et un exemple valant mieux qu’un long discours :

Carte Mobib

JUL 2

NANCY V

Mobib Day 1

Après 10 minutes de file, on me dit : « Moi, je fais pas ça, tu sais madame ! Tu dois aller à guichet 2 ! » Et c’est écrit quelque part que t’es pas foutu de remplacer ma Mobib ? Et c’est reparti pour 10 minutes au milieu des touristes et des gamins hurlants.

#fonttouschier

JUL 3

NANCY V

Mobib Day 2

Gare du Midi. File au guichet et je  ne vous raconte pas le cheptel : « C’est pas moi qui fait ça, allez au guichet STIB ! » File au guichet STIB : « C’est pas moi qui fait ça, allez à la Bootik ! » File à la Bootik : « C’est lié à un abonnement SNCB, c’est pas moi qui fait ça, allez au guichet SNCB ! »

Et c’est à cette minute précise que mon venin est sorti !

# brefj’aigueulé

JUL 4

NANCY V

Mobib Day 3

J’ai acheté un ticket 10 voyages…

#burnout

LA LOGIQUE DES AUTRES

La carte Mobib est un abonnement qui permet d’utiliser les transports en commun de Bruxelles (la STIB). Dans mon cas, elle était associée à l’abonnement de train (la SNCB). Et ce qui devait arriver est forcément arrivé, j’ai perdu ma carte Mobib !

Peu importe, il suffit de se rendre au guichet de la gare et d’en demander une autre. Oui, mais cela, c’est dans le monde des elfes et des licornes. Moi, je vous parle des chemins de fer…

Bref, après avoir passé trois matinées à courir de guichet en guichet, de guichetier grossier à guichetier de mauvaise foi, j’ai fini par craquer et j’ai acheté un carnet de tickets STIB.

Je commençais à désespérer, m’imaginant passer ma vie à composter les sales petits tickets jaunes quand, un beau matin, je fus prise d’une frénétique curiosité ethnologique. Partant quelques minutes plus tôt de la maison, je fis un arrêt au guichet de la jolie petite gare de Binche. Dernier terminus avant la France. Rails qui s’arrêtent au milieu de nulle part pour se transformer en chemins de promenades silencieux et reposants. Hall qui sert de tournage aux films rétro. Enfin, vous l’aurez compris : ma petite gare est tout sauf une plate-forme de bus de métropole.

Taquine, je demande au guichetier :

– Bonjour, pouvez-vous remplacer ma carte Mobib, j’ai perdu l’ancienne !

Je m’attendais à un refus, voire à une fin de non-recevoir bien légitime, mais sa réponse fut tout autre…

– Avec plaisir ! [Trois minutes d’encodage.] La voici ! Bon voyage !

Trois minutes ! Il m’aura finalement fallu trois misérables minutes pour obtenir une nouvelle Mobib qui ne sert qu’à voyager intra-muros à cinquante kilomètres de là…

Et tu t’étonnes qu’on frôle le burnout, toi ?


[1] La ligne du chemin de fer de Stockton et Darlington, longue de 40 km et inaugurée le 27 septembre 1825 avec la Locomotion n°1 de George Stephenson, fut la première au monde permettant le transport commercial de passagers avec des locomotives à vapeur.

Date de publication
samedi 28 mars 2015
Entrez un mot clef :