Sex, Drugs & Fox-trot…

Olivier Tosseri est journaliste à Rome. Il est correspondant du quotidien Les Échos, du Journal des Arts et il collabore avec Radio France, Canal+, RMC et CNEWS. Il est l’auteur – avec Arnaud Gonzague – d’un roman noir, Le Bal des hommes (Robert Laffont, 2014).

On lui doit aussi, paru chez Buchet-Chastel à Paris, un récit historique intitulé La folie d’Annunzio – L’épopée de Fiume (1919-1920) dans lequel il dessine la fresque militaire demeurée fameuse, de Gabriele D’Annunzio, prince de Montenevoso, cet écrivain italien né à Pescara le 12 mars 1863 et mort à Gardone Riviera le 1er mars 1938.

Héros de la Première Guerre mondiale, D’Annunzio a soutenu le fascisme à ses débuts et s’en est éloigné par la suite. Principal représentant du décadentisme italien, il reste aujourd’hui célèbre pour ses romans et son œuvre poétique.

Voici le pitch du récit de Tosseri :

« Septembre 1919. L’Europe respire à nouveau l’air pur de la paix. Alors que les armes se taisent et que ses frontières sont redessinées par les États-Unis, la France et le Royaume-Uni, en Italie on crie à l’injustice. Un dandy poète soldat, Gabriele D’Annunzio (1863-1938) dénonce la « Victoire mutilée » de son pays qui espérait obtenir bien plus de l’effondrement de l’Autriche-Hongrie. Engagé volontaire, le héraut du nationalisme italien est également un héros de guerre par ses actions d’éclat.

Il met sa verve, son charisme et sa gloire au service de la cause de Fiume. Ce port de la côte dalmate, peuplé d’Italiens et entouré de Slaves, devient la pierre d’achoppement entre l’Italie et le futur royaume de Yougoslavie. Les grandes puissances refusent de prendre parti et veulent en faire une « ville libre », mais Gabriele D’Annunzio va la libérer. À la tête d’une poignée de conjurés, de vétérans et de troupes de choc, il s’empare de Fiume le 12 septembre 1919.

Pas un coup de feu n’a été tiré ni une goutte de sang n’a été versée. C’est le début d’une épopée politique et artistique qui va durer quinze mois.

La liste de ceux qui accourent pour y participer ne cesse de s’allonger : futuristes, anarchistes, syndicalistes révolutionnaires, artistes, aventuriers en tout genre. On y parle libération des peuples opprimés et on y vit la libération sexuelle, on pratique le végétarisme et le naturisme en consommant des narcotiques…

Le laboratoire du XXe siècle avec ses passions et ses utopies, sexe, drogues et fox-trot.

Les Années folles commencent à Fiume. »

Ainsi, le 27 août 1920, à Fiume, Gabriele D’Annunzio donna une Constitution révolutionnaire à ses habitants et à ceux des environs. Le texte avait été rédigé par le poète lui-même, en compagnie du syndicaliste révolutionnaire Alceste De Ambris.

On peut y lire la « reconnaissance et la souveraineté de tous les citoyens, sans distinction de sexe, de race, de langue, de classe ou de religion ; une égalité absolue des sexes devant la loi, l’éligibilité des femmes à toutes les fonctions privées ou publiques, la représentation proportionnelle, les allocations en cas de maladie, de chômage ou d’accident du travail, la retraite à toute personne âgée, le salaire minimum garanti, la création de juges du travail. »

Gabriele D’Annunzio estimait que « l’artiste est celui qui sait inventer sa propre vertu, pour offrir à ses frères un don nouveau. »

L’État libre de Fiume fut brièvement reconnu au traité de Rapallo (1920), puis D’Annunzio déclara la guerre à l’Italie, avant que la ville ne doive se rendre en décembre 1920, après un bombardement de la marine italienne.

Proche du duc d’Aoste, qui était à cette époque « la référence pour ceux qui préconis[aient] une solution autoritaire et militaire à la crise que travers[ait] le régime », D’Annunzio méprisait le roi Victor-Emmanuel III. En 1926, il déclara au journaliste Jacques Benoist-Méchin que son but était « d’obliger le « nabot pusillanime » à se démettre en faveur du duc ».

En 1921, il fut élu « membre étranger littéraire » de l’Académie Royale de langue et de littérature françaises de Belgique, et le resta jusqu’à sa mort, bien qu’il n’y ait jamais siégé.

Après l’affaire de Fiume, il se retira dans sa maison du lac de Garde et se consacre à la promotion publicitaire de la Riviera des lacs, notamment à travers le sport motonautique.

Les rapports de D’Annunzio avec Mussolini ont été pour le moins complexes. Le fascisme a emprunté beaucoup du décorum paramilitaire créé par D’Annunzio lors de l’expédition de Fiume (chemises noires, cri de ralliement, salut romain, culte de l’héroïsme, etc.).

Quoiqu’il ait exercé une influence notable sur l’idéologie mussolinienne, il ne s’impliqua jamais directement dans le gouvernement fasciste au pouvoir à partir de 1923.

Il est vrai que Mussolini craignait que la popularité et l’indiscutable talent de propagandiste de D’Annunzio ne lui fassent de l’ombre.

Après que Mussolini a déclaré en août 1934 que « Hitler est un affreux dégénéré sexuel et un fou dangereux », que l’Allemagne nazie « représente la barbarie sauvage » et que « ce serait la fin de notre civilisation européenne si ce pays d’assassins et de pédérastes devait submerger le continent », Gabriele D’Annunzio, très antinazi, a écrit à Mussolini : « Je sais que tes hésitations cèdent la place à ta sagacité virile, et que tu as si bien su repousser ce félon d’Hitler, à l’ignoble face ternie sous les taches indélébiles de peinture où il avait trempé sa mèche de clown féroce qui se prolonge jusqu’à la racine de son nez nazi. Avec son gros pinceau de barbouilleur, Hitler couvre de sang l’humain et le divin ».

Le 30 septembre 1937, D’Annunzio rencontra Mussolini qui revenait d’Allemagne pour lui déconseiller de s’allier avec Hitler : « Une telle alliance ne peut que conduire l’Italie à la ruine. Notre meilleure alliée, malgré ses erreurs du passé, reste la France ». Mais Mussolini ne l’écouta pas et considéra que l’Italie devait avoir l’Allemagne voisine, deux fois plus peuplée que l’Italie, comme alliée et non comme ennemie, à défaut d’avoir les Français et les Britanniques de son côté.

D’Annunzio qui n’avait par ailleurs pas beaucoup d’estime pour les fascistes, les qualifiant de « carne agglomerata » (« chair pressée »), refusa la proposition d’être candidat sur les listes du parti et ne renouvela finalement pas sa carte des Faisceaux.

Alors que le secrétaire du parti Michele Bianchi lui avait envoyé une lettre qu’il concluait par « Vive le fascisme ! », Gabriele D’Annunzio y répondit par : « Je n’ai eu, et je n’ai, je n’aurai jamais à prononcer qu’un cri : Vive l’Italie ! »[1]

PÉTRONE

La folie d’Annunzio – L’épopée de Fiume (1919-1920) par Olivier Tosseri, Paris, Éditions Buchet-Chastel, septembre 2019, 267 pp. en noir et blanc au format 14 x 20,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 20 € (prix France)

Œuvres de Gabriele D’Annunzio

Romans

L’Enfant de volupté (1889)

L’innocente (L’Innocent, 1892, adapté au cinéma en 1976 par Luchino Visconti),)

Il trionfo della morte (Le Triomphe de la mort, 1894)

Le vergini delle rocce (Les Vierges aux rochers, 1899)

Il fuoco (Le Feu, 1900)

– Forse che sì, forse che no (1910)

Notturno (Nocturne, 1916)

Théâtre

La città morta (La Ville morte, 1898)

La Gioconda (La Joconde, 1899)

Francesca da Rimini (1902)

L’Éthiopie en flammes (1904)

La figlia di Iorio (La Fille de Jorio, 1904)

Fedra (Phèdre, 1909)

Le Martyre de Saint-Sébastien (écrit en français, 1911)

La Pisanelle (écrit en français, 1913)

Poésie

Canto novo (1882)

Intermezzo di rime (1883)

Isaotta Guttadàuro ed altre poesie (1886)

L’IsotteoLa Chimera (1889)

Elegie romane (1892)

Poema paradisiaco (1893)

Sonnets cisalpins (1896)

Maia (Laudi del cielo, del mare, della terra e degli eroi I) 1903

[rédaction dès 1896]

Elettra (Laudi venuti dal cielo, dal mare, dalla terra e dagli eroi II) 1903

Alcyone (Laudi del cielo, del mare, della terra e degli eroi III) 1903

Merope (Laudi del cielo, del mare, della terra e degli eroi IV ) 1912

Canti della guerra latinaAsterope (Laudi del cielo, del mare, della terra e degli eroi V) 1918.

Nouvelles

Terra vergine, (1882)

Œuvres politiques

L’Armata d’Italia (1888)

Per la più grande Italia (1915)

Orazione per la sagra dei Mille (1915)

La riscossa (1917)

Lettera ai Dalmati (1919)

Carta del Carnaro. Disegno di un nuovo ordinamento dello Stato libero di Fiume (1920)

Teneo te, Africa (1936)

Le dit du sourd et du muet qui fut miraculé en l’an de grâce 1266, de Gabriele d’Annunzio qu’on nommoit Guerra de Dampnes (écrit en français, 1936)


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Gabriele_D%27Annunzio

Date de publication
vendredi 1 novembre 2019
Entrez un mot clef :