L’espionne qui venait du froid…

Formé à l’université de Cambridge, Ben Macintyre (°1963) est un historien britannique qui collabore également au grand quotidien The Times. Il s’est fait connaître en 1997 par un premier récit consacré au « Napoléon du crime », Adams Worth (1844-1902) dont Conan Doyle s’était, dit-on, inspiré pour créer le personnage du professeur Moriarty.

Il est à ce jour l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages dont les plus récents (Opération Mincemeat, La véritable histoire du Jour J, Philby, Histoire des services d’espionnage britannique) sont consacrés aux héros de l’ombre. L’Espion et le Traître, qui brosse le portrait d’un Philby soviétique, Oleg Gordievsky, fut en Angleterre l’un des best-sellers de l’année 2018, et sa traduction française est sortie l’année suivante à Paris, aux Éditions de Fallois.

C’est dans la même maison que paraît Agent Sonya – La plus grande espionne de la Russie soviétique, un document palpitant abondamment documenté et fort bien rédigé sur la vie et la carrière d’agent de renseignements d’Ursula Kuczynski (Schöneberg, 1907– Berlin, 2000), qui permit à Staline de disposer à son tour de la bombe atomique.

Née à Berlin, cette fille d’un banquier juif qui enseignera plus tard la démographie à l’université d’Oxford [1] émigre, en raison de la montée de l’antisémitisme en Allemagne, avec ses parents vers l’Angleterre, puis, en 1929, aux États-Unis.

En 1926, elle avait adhéré au parti communiste allemand (KPD) et ne reniera jamais ses convictions politiques.

En 1930, on la retrouve à Shanghai où elle devient Sonya (mot qui en russe désigne aussi la marmotte et la taupe…) dans le réseau dirigé par le fameux espion soviétique Richard Sorge [2], dont elle devient la maîtresse, qui l’enverra suivre une formation approfondie à Moscou. Douée pour le morse et le codage, elle devient une habile manipulatrice de TSF.

Elle remplit par la suite de nombreuses missions dangereuses et animera plusieurs réseaux de renseignements durant la Seconde Guerre mondiale, en Suisse notamment.

Au début des années 1940, elle avait épousé un citoyen britannique passé par les Brigades internationales en Espagne, et s’était établie en Angleterre.

Elle y rencontra le physicien communiste Klaus Fuchs [3], dont elle devint l’officier traitant, avec les conséquences que l’on sait

En 1950, le MI5 [4] aux trousses, elle se réfugia en République démocratique allemande où elle commença une nouvelle vie d’écrivaine à succès sous le nom de Ruth Werner.

En 1966, décorée de l’ordre du Drapeau rouge depuis 1937 (et une nouvelle fois en 1969), elle se retira du GRU – l’équivalent soviétique de la CIA – avec le grade de colonel, distinction exceptionnelle pour une femme chez les Soviets.

Mariée à maintes reprises, mère de plusieurs enfants et maîtresse de nombreux amants, Ursula Kuczynski a été l’un des plus efficaces des agents secrets soviétiques pendant la Deuxième Guerre mondiale, et en tout cas l’un des rares que Staline n’a pas fait disparaître…

PÉTRONE

Agent Sonya – La plus grande espionne de la Russie soviétique par Ben Macintire, ouvrage traduit de l’anglais par Henri Bernard, Paris, Éditions de Fallois, octobre 2020, 414 pp. en noir et blanc + un cahier photo de 16 pp. en quadrichromie au format 15,5 x 22,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 23,40 € (prix France)


[1] Robert René Kuczynski est considéré comme le pionnier de la statistique appliquée à la démographie.

[2] Richard Sorge (1895-1944) était un révolutionnaire et journaliste allemand et soviétique. Il est surtout connu pour son travail d’espion au Japon au service de l’URSS, avant et au début de la Seconde Guerre mondiale. En 1930, il s’installe à Shanghai pour collecter des informations et préparer une révolution, sous couverture de journalisme pour le Frankfurter Zeitung. En août 1941 et avant la bataille de Moscou, il transmit une information cruciale, à savoir que les Japonais, alors occupés à préparer leur entrée en guerre, en particulier contre les États-Unis (attaque de Pearl Harbor), n’allaient pas attaquer les territoires orientaux de l’URSS. Démasqué par les services secrets japonais, il fut pendu à Tokyo le 7 novembre 1944, et l’URSS ne reconnut son rôle qu’en 1964, 11 ans après la mort de Staline et l’aveu des erreurs de ce dernier par l’administration soviétique de Nikita Khrouchtchev. Le 5 novembre 1964, il reçut le titre posthume de héros de l’Union soviétique.

[3] Emil Julius Klaus Fuchs (1911-1988) était un physicien allemand qui participa au Projet Manhattan (nom de code du projet de recherche qui produisit la première bombe atomique durant la Seconde Guerre mondiale). Également agent secret au service des soviétiques, il contribua grandement à ce que l’URSS se dote aussi de la bombe atomique.

[4] Le Security Service (« Service de la sûreté »), communément dénommé MI5 (pour Military Intelligence, section 5), est le service de renseignement responsable de la sécurité intérieure du Royaume-Uni.

Date de publication
jeudi 26 novembre 2020
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