Écrivain français, historien, maître de conférences à Sciences Po Paris, Bruno Fuligni (°1968) est l’auteur de trente-cinq livres sur l’histoire politique et le renseignement.
Son nouvel ouvrage, Mistinguett – La danseuse qui a sauvé la France (Paris, Éditions Buchet-Chastel), pour lequel, fidèle à sa plaisante habitude, il s’est plongé dans des documents inédits – dossiers de police, passeports, archives militaires… – est non seulement une biographie fouillée, mais aussi un vibrant plaidoyer pour que les cendres de la célèbre meneuse de revues du Moulin-Rouge soient, à l’instar de celles de sa jeune collègue Joséphine Baker (1906-1975) et pour des raisons du même ordre, transférées au Panthéon.
Jolie femme à l’esprit gouailleur dotée des « plus belles jambes de Paris » – en 1919, elle les fit assurer pour 500 000 francs (l’équivalent d’un million de dollars de l’époque ou de 793 000 euros actuels) –, Jeanne Florentine Bourgeois, dite Mistinguett, née le 3 avril 1875 à Enghien-les-Bains et morte le 5 janvier 1956 à Bougival, dont le père et tous les grands-parents étaient d’origine belge, fut une danseuse, chanteuse et actrice française de renommée mondiale.
À partir de 1894, elle s’initia à l’art de tenir la scène, avant ses débuts au Moulin-Rouge, le 29 juillet 1907, dans « La Revue de la Femme » où elle remporta un triomphe.
En 1912, elle se produisit au Moulin Rouge avec le chanteur, acteur et danseur Maurice Chevalier (1888-1972), avec qui elle vécut pendant dix ans une histoire d’amour passionnée.
En août 1914, Maurice Chevalier, qui avait rejoint le 35e régiment d’infanterie le 1er décembre 1913 pour y effectuer son service militaire, fut blessé dans des combats en Meurthe-et-Moselle, fait prisonnier et déporté en Allemagne.
Voulant ardemment le faire libérer, Mistinguett offrit alors ses services au général Maurice Gamelin (1872-1958) et elle fut recrutée en qualité d’espionne par le 2e Bureau, le service de renseignement de l’armée française.
En Suisse, en Angleterre, en Italie et en Espagne, elle sillonna l’Europe, écouta aux portes et séduisit des têtes couronnées et des aristocrates de haute extrace, sans jamais être démasquée
Elle récolta de nombreux renseignements auprès du prince diplomate austro-hongrois Gottfried de Hohenlohe (1867-1932), alors en poste à Berne, ou du roi d’Italie Victor-Emmanuel III (1867-1947), et elle parvint à faire libérer Maurice Chevalier en 1916 grâce à ses relations avec le roi d’Espagne Alphonse XIII (1886-1941).
En 1918, Mistinguett obtint d’Hohenlohe une information capitale, à savoir la date approximative et le lieu d’une offensive « décisive » ourdie par le Prussien Erich Ludendorff (1865-1937), généralissime des armées allemandes sur le front de l’Ouest, en l’occurrence une percée de ses troupes en Champagne, entre Prunay et la Main de Massiges, dans la nuit du 14 au 15 juillet 1918, pour se ruer vers Paris et prendre la ville.
Informées par Mistinguett, les troupes françaises, recourant à une stratégie rusée, purent remporter la deuxième bataille de la Marne, réellement décisive celle-là, le 6 août 1918.
Or, en raison des basses manœuvres de quelques politiciens véreux de l’entre-deux-guerres, jamais la France ne rendit grâce, de quelque manière que ce fût, à l’héroïque artisane de cette brillante victoire pour laquelle, bien plus noblement et bien plus efficacement que, 22 ans plus tard, le piteux maréchal de France Philippe Pétain (1856-1951), elle avait fait don de son corps à la patrie en danger.
Espérons que le plaidoyer de Bruno Fuligni lui fera enfin rendre justice…
PÉTRONE
Mistinguett – La danseuse qui a sauvé la France par Bruno Fuligni, Paris, Éditions Buchet-Chastel, août 2025, 192 pp. en noir et blanc + 8 pp. en quadrichromie au format 13,5 x 21,5 cm sous couverture brochée en couleurs, 19,90 € (prix France)