Né en 1971 au Québec, Philippe Girard a animé différents fanzines et journaux sur la bande dessinée. Dans ses livres, il mêle à ses influences nord-américaines un style ligne claire revisité. Son album Leonard Cohen, une biographie dessinée publiée par Casterman en 2021, a rencontré un grand succès.
Johann Chapoutot, né en 1978, est professeur d’histoire contemporaine à Sorbonne Université. Spécialiste de l’histoire du nazisme, de l’Allemagne et de la modernité occidentale, il est l’auteur de quinze ouvrages[1], traduit dans quinze langues et distingué par dix prix nationaux et étrangers. Son essai Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui, paru en 2020 et vendu à 60 000 exemplaires en français, a quant à lui été traduit en dix langues.
Dans Libres d’obéir, son adaptation en bande dessinée publiée chez Casterman à laquelle a été a été ajouté le récit de deux femmes cadres actuelles soumises à la pression de leurs petits chefs, il explique comment Reinhard Höhn (1904-2000), juriste et général SS, adjoint du sinistre Reinhard Heydrich[2] au SD[3] pendant les années 1930, a influencé la pensée managériale d’après-guerre jusqu’à nos jours en prônant l’autonomie sous contrôle et il décrit les conséquences concrètes de cette idéologie pernicieuse qui sévit plus que jamais dans le monde professionnel d’aujourd’hui.
La biographie de Reinhard Höhn est en effet aussi édifiante que ses idées :
Militant nationaliste actif, il entra en 1922 dans le Deutschvölkischer Schutz und Trutzbund (Ligue nationaliste de défense et d’attaque), un mouvement völkisch[4] antisémite. Il milita pendant un temps à Stahlhelm[5], puis fut arrêté et passa un bref séjour en prison. Entre 1923 et 1932, il a été membre du sulfureux Jungdeutscher Orden (Ordre des Jeunes allemands). Il entra au SD en 1932 et devint le premier adjoint de Reinhard Heydrich en tant que chef du SD Amt II/1 jusqu’en 1939. En mai 1933, il avait adhéré au parti nazi et en 1934 à la SS.
Reinhard Höhn devint professeur de droit constitutionnel et administratif à l’Université Humboldt de Berlin et il occupa la chaire de droit public à l’Université d’Iéna de 1935 à 1945. Il fut en même temps directeur de l’institut de recherche d’État (Institut für Staatsforschung).
On perdit sa trace à la fin de la guerre, avant qu’il réapparaisse comme directeur d’une école pour chefs d’entreprise fondée par lui en 1956. Il devint ensuite formateur en management du personnel pour l’Akademie für Führungskräfte der Wirtschaft, une école qui accéda à une très grande renommée, à tel point qu’elle forma 600 000 cadres issus de 2 600 entreprises allemandes. Le succès fut tel que l’armée et des Länder y envoyèrent leurs officiers et leurs fonctionnaires se former à ces méthodes connues sous le nom de « management par délégation de responsabilité ».
En 1971, le journal Vorwärts du SPD mit en lumière le passé de Reinhard Höhn dans l’appareil d’État nazi comme expert de l’économie et de la science politique nationale-socialiste.
Sans grandes conséquences…
Espérons que cette BD de choc connaisse davantage d’efficacité pour faire mordre la poussière aux méthodes managériales qu’elle décrit et dénonce comme des pratiques rampantes du nazisme abject…
PÉTRONE
Cinquante anecdotes sur l’histoire de la médecine par Raphaël Camus, Bruxelles, Éditions Casterman, août 2025, 136 pp. en quadrichromie au format 19 x 26,8 cm sous couverture cartonnée en couleurs, 22 €
[1] Le National-socialisme et l’Antiquité (2008, rééd. 2013), Le Meurtre de Weimar (2010, rééd. 2015), Le Nazisme – Une idéologie en actes (2012), Histoire de l’Allemagne – de 1806 à nos jours (2014, rééd. 2017, 2022), La Loi du sang – Penser et agir en nazi (2014), Des soldats noirs face au Reich – Les massacres racistes de 1940 (avec Jean Vigreux, 2015), La Révolution culturelle nazie (2017, rééd. 2022), Comprendre le nazisme (2018), Hitler (avec Christian Ingrao, 2018), Le sang et la science – L’organisation Ahnenerbe, héritage des ancêtres, les Germains et les Juifs, 1935-1945 (2018), Libres d’obéir – Le management, du nazisme à aujourd’hui (2020), Les 100 mots de l’histoire (2021), Le Grand Récit – Introduction à l’histoire de notre temps (2021), « Chaque geste compte » – Manifeste contre l’impuissance publique (avec Dominique Bourg, 2022), Les Irresponsables – Qui a porté Hitler au pouvoir ? (2025).
[2] Reinhard Heydrich était un SS-Obergruppenführer allemand, responsable nazi de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, né le 7 mars 1904 à Halle (Saxe) et mort le 4 juin 1942 à Prague (Bohême-Moravie) des suites d’un attentat. Il était alors à la fois le directeur du Reichssicherheitshauptamt (RSHA) et le « vice-gouverneur » du Reich en Bohême-Moravie. Adjoint direct de Heinrich Himmler dès 1933, il joua un rôle majeur dans l’organisation de l’appareil répressif nazi et lors de l’élimination de la Sturmabteilung (SA) en tant que force politique, principalement lors de la nuit des Longs Couteaux à l’été 1934. Son rôle fut également déterminant dans l’organisation de la Shoah par la planification et le contrôle entre 1939 et 1942 de l’activité des Einsatzgruppen, dont la mission essentielle dans l’Est de l’Europe était l’extermination des Juifs par fusillade (« Shoah par balles »), et lors de la conférence de Wannsee, chargée de la logistique des centres d’extermination comme Auschwitz, et qu’il présida le 20 janvier 1942.
[3] Le Sicherheitsdienst, abrégé en SD, était en Allemagne à partir de 1931 le service de renseignement et de maintien de l’ordre de la SS. Ce service était indissociable de la Sipo – la police de sûreté allemande – à laquelle le SD était lié.
[4] Le mouvement völkisch était un courant intellectuel et politique, apparu en Allemagne à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, dont le projet était de donner à l’ensemble des Allemands une religion païenne, en général le paganisme germanique.
[5] Le Stahlhelm (« casque d’acier ») était une des nombreuses organisations paramilitaires, issues des Freikorps (corps francs), qui virent le jour après la défaite allemande de 1918. (Sources ; Wikipédia)